samedi 2 juin 2012

Secret médical


"Je suis désolé, Monsieur PAM, mais votre dernier bilan n'est pas bon".
J'étais assis inconfortablement sur le rebord de la chaise, le dos inhabituellement droit, mes deux mains coincées entre les cuisses, et je me sentais fautif comme un petit garçon qu'on aurait surpris les doigts dans la confiture..
Vous avez remarqué combien on est peu de choses dans un cabinet médical?
Le digne médecin qui m'apostrophait de la sorte avait enlevé ses lunettes et me regardait fixement en ayant joint avec emphase les mains au-dessus de mon épouvantable dossier. Ce geste de prière muette, je l'imaginais ainsi: "Ô Esculape, dieu des guérisseurs, viens à mon aide. Je ne peux plus grand chose à mon niveau humain, trop humain, pour ce pauvre hère qui me fait face. Rien n'y fait, ma science a atteint ses limites. Aussi, je m'en remets à ta puissance divine, exauce ses voeux, accompagne ce malheureux mortel."
J'osai rompre le silence glacial qui s'était installé: "Mais, docteur, depuis la dernière fois, j'ai quand même fait de gros efforts".
"Ah oui? eh bien j'aimerais bien savoir où?!"
"Regardez, à force de volonté, j'ai réussi à passer de 1,90 gramme de cholestérol à 1, 92 gramme. Il faut dire que je me suis vraiment gavé de frites et de Mac Do, une fois par jour...."
"Parlons-en, de votre cholestérol, allons dans le détail, puisque vous insistez; regardez, le bon cholestérol progressé, et le mauvais, lui, a encore baissé. Non, non, vous n'y mettez vraiment pas du vôtre. Les bonnes intentions ne suffisent pas, je ne vois rien de positif dans ce dossier. Si au moins vous respectiez mes consignes, mais vous êtes incapable de vous mettre à fumer et à boire!"
"Vous êtes vraiment sévère, j'ai quand même été opéré des genoux il y a 45 ans, c'est bon pour mon dossier, les genoux, et je ne cours plus au tennis comme avant."
"Bravo, peut-être, mais vous surcompensez en faisant 3000 mètres en piscine par semaine. Ne niez pas, j'ai mes indics. Allons, avouez, avouez que vous ne pouvez pas vous passer de vos addictions primaires. Eh bien, tant que vous persisterez, toutes mes compétences seront inutiles. D'ailleurs, je pense que nous allons en rester là entre nous."
Je sursautai: "Non, non, je vous en prie, vous êtes mon seul espoir. Aidez-moi, donnez-moi une dernière chance." J'avais réprimé l'envie de me mettre à genoux, mais il aurait encore fait une remarque sarcastique sur la souplesse de mes articulations. J'insistai: "Tenez, procédons pas étape, fixez-moi, un objectif, un seul, et je ferai tout pour l'atteindre".
L'ancien interne des hôpitaux de Paris cligna alors des yeux, comme amusé par cette dernière idée, parcourut rapidement mon dossier qui semblait lui brûler les doigts, et s'arrêta sur une ligne.
"Soit, je vous prends au mot. Puisqu'on n'arrive à rien avec le cholestérol et les triglycérides, j'exige que vous reveniez le mois prochain avec un mauvais taux de globules rouges. Je ne dis pas anormalement bas, je dis simplement dans la partie inférieure de la fourchette, disons 42 % maxi. Une petite anémie cela aura son effet. Vous vous débrouillez comme vous voulez, mais vous ne prenez plus de protéines. Après la piscine, juste une soupe de courgettes, après le jogging une infusion de tilleul. En fait, je ne veux pas le savoir. Mais une chose est sûre, sans changement important vous concernant, j'arrête tout.
Soyez certain que pour l'instant toutes vos demandes pour mettre vos biens en viager continueront à être rejetées par les médecins conseils. Votre santé est beaucoup trop bonne pour vos 90 ans! Que voulez-vous, c'est la jurisprudence Jeanne Calment !"