Un matin, je me suis réveillé grand-père, oui, avec un
petit-fils! Je vous passe quelques épisodes, et maintenant nous
nous retrouvons quelquefois au Mac Do. Ainsi, en allant récemment vers la Mer de Sable,
nous nous arrêtâmes en chemin, alertés par la désormais verte enseigne. Il
était très tôt, aucun client à part nous trois, et trois employés de la
multinationale américaine derrière le comptoir,…inemployés à cette heure.
Montrant à mon Louis combien j’étais habitué au rituel du Super Big, je
commandais péremptoirement « les menus qui vont bien », avec le jouet
garçon bien sûr, surtout ne pas se tromper. Je m’entendis répondre «Désolé,
Monsieur, mais vous devez commander sur les bornes automatiques », bornes
que m’indiquait derrière moi le toujours
inemployé MacDonaldien . Je me retournai, déjà un peu énervé. Toujours pas un
chat à l’horizon. Je risquai : « Mais enfin, qu’est-ce qui vous empêche de
nous servir, c’est quand même plus agréable de discuter avec un être humain
qu’avec une machine, je fais déjà ça toute la semaine ! ». Mais la
procédure, c’est la procédure, le sous-employé nous pria de l’excuser, puis il
finit par venir appuyer sur les touches pour moi, un vrai moment de forte
convivialité.
Un peu plus tard, je me retrouve dans un aéroport européen, avec un billet pour un
horaire, et la volonté de prendre un autre vol. Je me dirige vers une borne… Après deux tapotements peu convaincus, j'obtiens une réponse négative: " trop tôt, allez au comptoir". Je trouve le comptoir aux couleurs françaises, pour
m’entendre dire que ce n’est pas le bon endroit, « Ici, Monsieur, c’est juste les
ventes de billets, je vous propose d'aller directement à la dépose des bagages ». A la dépose, on me dit qu’il faut passer par les bornes pour changer le billet et préenregistrer le
bagage, « moi je ne peux pas le faire »… A la borne, enfin, une
charmante jeune femme préposée m’indique où taper…Qui a pris le pouvoir ?
Ainsi, je me retrouve de plus en plus souvent, même en ville, à tapoter un écran, un
clavier, à écraser mon pouce sur toute la surface pour tenter de passer à
l’étape suivante, à préparer ma carte, mon portable pour le code en SMS ,
à me rappeler le nom de jeune fille de ma mère, le surnom de mon chat. Et je me
demande toujours si une mauvaise manip ne va pas me ramener à la case départ
dans ces jeux de l’oie modernes, où je sais bien qui joue le rôle du dindon! Mais non, toute présence humaine n’est pas
supprimée, le grand ordonnateur a tout prévu : maintenant, un servant de
la machine, attentionné comme un valet de pied de Lord anglais, vient me
ramener dans la froide et unique orthodoxie et me fait enfin cliquer là où l’on
doit cliquer. Alors ça, c’est de la valeur ajoutée!
Et le pire, c’est que j’accompagne machinalement ce
mouvement: je choisis aux péages autoroutiers les couloirs anonymes à carte bancaire, je passe aux
bornes automatiques aux caisses d'Auchan, d'Ikéa,… ! Je prends aussi des e-billets, et
mon portable sert de cible consentante au pistolet rougeoyant du
contrôleur dans le train: nous sommes comme deux témoins muets et abêtis d’un processus qui nous dépasse complètement.
J’ai lu pas mal de romans de science-fiction où les robots
prennent le pouvoir, et où l’humanité s’en sort toujours, in extremis, en
jurant qu’on ne l’y prendra plus. Mais ici, pas de guerre, pas d’ennemis
déclarés, pas de robots incontrôlables. Non, c’est bien plus pernicieux, beaucoup plus dangereux ! L’homme est
juste lentement ignoré, mis de côté, évacué, laissé pour compte, rabaissé,
décalé, dans le rôle du figurant, du faire-valoir, du serviteur de la machine. « Les
temps modernes », oui, encore et toujours. Hier la machine a libéré
l’homme, aujourd’hui elle l’utilise encore un peu, et demain elle lui dira peut-être qu’il a fait son temps.