Mon année de terminale a été bercée par les doo, doodoo, doo doodoo doo doodoo, de "Walk on the wild side", le tube planétaire qui a fait connaître Lou Reed au grand public. Il l'a mis sous les feux de la rampe, lui qui était jusqu'alors plutôt habitué au monde interlope des caves new-yorkaises et à la musique acide du Velvet Underground. David Bowie a tout réussi en 1972, il a explosé en "Ziggy Stardust", mais il a aussi déniché et transfiguré Lou Reed, perdu entre deux eaux berlinoises. "Transformer" est le résultat Loureedien de cette année de grâce. Tous les titres sont bons, mais j'ai aujourd'hui une affection particulière pour un morceau moins connu,qui était présent sur la bande son du film mythique "Trainspotting". "A perfect day" est juste a perfect song.
Les paroles de Lou Reed sont d'une beauté rare, celle qui invite à rêver. Leur simplicité apparente nous entraîne doucement dans son univers, où tout ce qui est caché émerge des profondeurs et occupe bientôt toute la scène.
Au premier abord, quelle naïveté, cette journée parfaite! On a l'entrée de gamme des plaisirs, le sous-sol prolétaire de l'amusement, le niveau zéro sur l'échelle du bonheur... Nourrir un zébu le samedi soir et regarder un navet avant de s'en retourner chez soi, on a du mal à imaginer moins glamour.
Au premier abord, quelle naïveté, cette journée parfaite! On a l'entrée de gamme des plaisirs, le sous-sol prolétaire de l'amusement, le niveau zéro sur l'échelle du bonheur... Nourrir un zébu le samedi soir et regarder un navet avant de s'en retourner chez soi, on a du mal à imaginer moins glamour.
Certes, mais il décide que cette journée est parfaite. Il savoure justement cette parenthèse anonyme, cette pause de citoyen ordinaire, avant de reprendre sa vie. Ce n'est certainement pas avec une compagne qu'il passe cette journée, c'est une amie, juste une amie. Il la connaît depuis longtemps, mais quand ils rentreront à la maison, ce sera chacun dans la sienne.. Il l'a rencontrée dans une autre vie, peut-être dès son enfance, avant que la sienne ne bascule, et elle a de lui cette image intacte de quelqu'un de bien.
Avec toi, je m'oublie, je pense être quelqu'un d'autre. Je sais bien que ma vie est toute autre, mais ici, avec toi, je fais les gestes d'un homme normal, et c'est comme tel que tu me regardes. Sous ton regard, je retrouve pendant quelques heures la personne honnête et droite que j'ai été, voici longtemps. Ma vie reprendra bien assez tôt, dès que je t'aurais quittée, sur le pas de ta porte avec un rendez-vous pour samedi prochain en poche. J'ai encore décliné avec un sourire ton invitation à entrer, mais je veux garder notre relation immaculée, hors du temps, hors de mon temps en tout cas. Cette journée, c'est ma "time capsule", mon instant figé à jamais, mon rituel de pureté et d'innocence. Oh, gardons cette journée dans toute sa simplicité, sans surenchère. Je veux surtout te voir sourire en me regardant quand tu lèves des yeux un peu plus brillants après une gorgée de sangria, ou quand tu me prends machinalement la main quand le lion se met à rugir.
Mais lorsque ta porte se referme, je retrouve intacts mes errements et mes fautes, mes plaies et mes délires. Je reprendrai dès ce soir ma dose quotidienne d'héroïne, ma seule issue pour ne pas trembler. Je pourrai alors quitter ma tanière solitaire et faire mon travail, tuer pour de l'argent. Ce soir, j'ai un contrat sur une tête. Une photo, une adresse, c'est tout. Je ne veux rien savoir d'autre. Je te reverrai samedi prochain, enfin j'espère. En attendant, "je n'ai plus qu'à récolter ce que j'ai semé."
Quelle force d'évocation dans ces quelques mots, quelle compassion à leur écoute!
Pour les chanter, Lou Reed se fait intimiste, presque crooner. Félin nocturne, sa voix fait patte de velours pour ce havre de paix, alors qu'il sort ses griffes et égratigne les filles sur les autres plages de Transformer, ces filles de petite vertu, peinturlurées, absentes ou congénitalement bavardes...
La mélodie met en valeur les paroles avec la simplicité requise, soutenue par des notes aériennes jouées au piano, qui viennent en contrepoint parfait du chant sur un fond de violons.
Doux, tout est doux, comme une sucrerie partagée à la foire, entre deux manèges. Etrangement doux. Nous sommes dans l'oeil du cyclone.
Si vous en avez envie, cliquez sur le titre pour écouter...
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