lundi 5 novembre 2012

Est-ce clair, esclave?

"C'est dur à admettre, maître." (Hommage à René Goscinny).
Nietzsche distingue deux catégories d'individus: d'une part les Esclaves, et d'autre part, non pas les maîtres, mais ceux qui disposent de leur temps en toute liberté.
Je suis donc un esclave, un esclave qui a tout son confort, mais un esclave quand même.
Cela me fait penser à cette affiche manuscrite apposée vers 11 heures du matin sur la porte fermée d'un garage de Naples: "Ayant suffisamment gagné ma vie aujourd'hui, je suis parti à la pêche". Quelle leçon. Et quel sujet de réflexion. Il faudrait d'abord creuser la notion de "suffisamment". Ce garagiste pragmatique a certainement de quoi se loger, se nourrir, se vêtir. se soigner. Il peut aussi entretenir une barque et un équipement de pêche. Au-delà, nous ne sommes plus très sûrs. A-t-il un I-phone, une télé à LED, des polos Ralph Lauren, une carte Gold, une Audi TT?
Ho, halte là, à quoi ça sert ce genre de réflexion de bobo parisien, on dirait une vieille resucée des "Babas cadres"?! La vraie question, c'est: est-ce que je peux personnellement quitter les rangs des esclaves? Soit, jouons le jeu franchement.
Surtout que l'homme libre existe, je l'ai rencontré! Semaine dernière, je revenais d'un déplacement très glamour en province (Mulhouse), et j'attendais ma valise à Orly avec la patience et l'allure d'une huître crétoise attendant la marée. Un bon ami de promo, pas vu depuis bien longtemps, me tira alors de ma douce torpeur. En transit depuis Montpellier, il partait un mois et demi visiter l'Australie, car, comme il tenait à le préciser, il n'y avait été "que deux fois". Et là, j'ai repensé à Nietzsche. Pilote de ligne long courrier à mi-temps (et non pas moyen-courrier à plein temps), il avait à la fois le temps libre, ainsi que les idées et les fonds pour l'occuper.
Fort de cet exemple, allons-y. D'abord, il faut regagner le temps libre.
"Cher chef, tant pis si vous acceptez d'être l'esclave de votre SmartPhone, de votre messagerie instantanée, de vos clients, de votre DG, voire de votre sens du devoir,..moi, je ne tiens plus à
l'être. Par conséquent, je sollicite officiellement de ne plus venir travailler que 2 jours sur 5. Je veux envoyer balader tous ces maillons de la chaîne qui m'entravent et empêchent mon vrai moi de s'épanouir au grand jour. Alors merci de me payer les 2/5 de mon salaire, et moi je ferai bien sûr uniquement les 2/5 de mon travail actuel."
Bon, pas gagné d'avance, mais supposons! Il faut maintenant vivre avec beaucoup moins d'argent qu'avant.
C'est mal parti. Déjà, les remboursements de l'emprunt pour la maison dépassent ce qui reste.
Qu'à cela ne tienne! Je peux vendre, habiter une yourte sans électricité, faire pousser mes rutabagas, remplacer la Twingo par le RER, m'habiller dans les dépôts-ventes, bref, explorer toutes les
pistes des modernes objecteurs de croissance.
La liberté est à ce prix, mais suis-je prêt à le payer? A vivre comme Diogène au fond de son tonneau, maître du monde et du temps? Je ne crois pas. C'est lâche, mais c'est comme çà.
Bon, pas gagné d'avance, mais supposons! Maintenant arrive le plus dur. Il faut en effet occuper son temps libre
En effet, quoi faire de mon temps libre? Quelle question presque scandaleuse! Ah, si j'avais le temps, tiens, retenez-moi, eh bien je partirai vers..., je ferais le tour de..., je me mettrai à ..., j'irai à ..., je recommencerais le ..., je.
En fait, j'ai très peur de ne pas savoir quoi faire. je n'ai jamais appris à ne rien faire. D'abord, je n'aime pas la pêche, le bricolage, le jardinage, les jeux de cartes, la télé, les écrans en général.   Je n'ai aucun don musical ou artistique. Les vacances, comme leur nom l'indique, sont faites pour s'arrêter, et je n'aime pas être une valise. Aller au spectacle me stresse puis m'endort, lire me rend passif et le sport n'est pas une fin en soi. La méditation me donne des cauchemars. En gros, j'ai très peur de très vite m'ennuyer. Terriblement.
Comme Charlot qui veut rester dans sa prison bien douillette des Temps Modernes, il faut se rendre à l'évidence: être un esclave, c'est bien pratique.


lundi 8 octobre 2012

Annus horribilis

Janvier, je n'aime pas trop. Déjà les bulles s'évaporent et laissent le blues se déposer. Ce mois est celui des bonnes résolutions, des douces illusions. L'année débute à peine, comme une neige fraîche que l'on n'a pas encore foulée. Alors on peut s'imaginer n'y laisser que des traces légères, des empreintes parfaites et ondoyantes créées par une trajectoire maîtrisée. Mais je sais bien que, patatras, ce sera très vite un gros pâté, de vilains cratères pires que ceux imprimés par un yéti enivré.
Février, je n'aime pas trop. Déjà, il faut se décider, ski ou pas ski, ou alors ailleurs, mais alors où? D'accord, le froid, c'est assez sympa, l'occasion toute trouvée pour entamer la conversation avec la quasi totalité de mes interlocuteurs (qui se disent certainement la même chose à mon encontre). Oui, mais je n'ai pas de pneus contact à ma Twingo, et je valse plus souvent qu'à mon tour sur les pistes givrées que la DDE délaisse.
Mars, je n'aime pas trop. Déjà, le nom du dieu de la Guerre, on pourrait se méfier. C'est en effet l'arrivée des envahisseurs saisonniers, pollens d'arbre et autres rhinito-irrito-gènes, qui font s'envoler mon budget mouchoirs en papier et baisser mon acuité visuelle, la sécrétion lacrymale inondant mes verres de lunettes de l'intérieur alors que les giboulées s'occupent de l'extérieur.
Avril, je n'aime pas trop. Déjà expliqué par Souchon et Voulzy. J'ajouterai que c'est aussi le moment de se rendre compte que l'on a encore rien fait de son année, et que, bon sang, si on ne réagit pas, on va se retrouver dans la même situation que les années précédentes.
Mai, je n'aime pas du tout. Déjà, la nature exulte dans sa prime jeunesse. L'air est vif et piquant au matin frais, les forêts inventent des verts tendres et  des bleus ombreux... C'est insupportable. Même si j'hibernais entre septembre et mai, je ne reviendrais jamais comme une fleur de saison, Et c'est toujours plus douloureusement qu'à chaque nouveau printemps je sens le pas du temps qui s'enfuit, après m'avoir encore marché dessus.
Juin, je n'aime pas trop. (Attention phrase compliquée). Déjà, il commence à faire chaud dans la chambre, et moi qui n'aime rien tant que de me glisser voluptueusement sous la couette, je me retrouve avec des draps, ces bouts de tissu animés d'animosité envers ma personne, et qui sont toujours trop courts de mon côté. Alors que je fais moi-même le lit!
Juillet, je n'aime pas trop. Pffff, déjà la moitié de l'année pliée, et je me trompe encore d'année en écrivant la date. Juillet, c'est un faux mois de vacances. Si on reste, on trouve qu'il y a encore trop de monde à Paris, et on se retrouve,  téméraire et puni, proprement scotché dans des bouchons caniculaires. Si on part, on a l'impression de participer à une répétition générale, et de revenir juste quand le spectacle va commencer.
Août, je n'aime pas trop. Déjà, les vacances arrivent sur l'échelle du stress juste après le divorce, mais avant la venue de la belle-mère. C'est dire. Alors, il faut sacrifier au rituel, commencer à regarder tous les jours l'image météo du lieu amoureusement choisi 9 mois à l'avance, avec l'angoisse du futur père regardant un instantané échographique. La météo, qui m'indiffère pendant 11 mois sur 12, devient tout d'un coup le baromètre unique de mon humeur. C'est pour cela que je vais en Bretagne, je n'ai que des bonnes surprises.
Septembre, je n'aime pas trop. Déjà un mois en "bre" et je n'aime pas les huîtres. Et puis, un mois qui commence par "sept" alors que c'est le neuvième de l'année, c'est comme une écumoire sans trou, c'est louche. Et on parle partout de rentrée, alors que j'ai l'impression de ne jamais être entré.

Octobre, je n'aime pas trop. Déjà en temps normal, j'ai du mal à avoir une tenue irréprochable, enfin, disons à m'en rapprocher... Mais avec le vent virevoltant et les ondées horizontales, me coiffer devient illusoire, et en plus, ma cravate et mon écharpe s'emmêlent tout le temps. Et comme si cela ne suffisait pas, le troisième dimanche dure 25 heures, la nuit arrive plus vite, mon chat demande son mou une heure plus tôt, je suis tout perturbé.
Novembre, je n'aime pas trop. Déjà, on débute par une odeur de chrysanthèmes et des sonneries aux morts, on a trouvé plus gai. Et puis, c'est le mois où il faut une lumière à son vélo. Je pars au boulot quand le jour n'est pas encore levé, alors que je rentre le soir à la nuit déjà tombée. Et si, entre deux, de bons gros nuages couleur télé mal réglée occupent le ciel parisien, la journée fait penser à Johnny. Noir, c'est noir, je ne trouve pas la poire. Et comme si cela ne suffisait pas, le troisième jeudi voit arriver des tonnes laides de tonnelets de Beaujolais nouvelet pour asiatiques babas et parisiens bobos.
Décembre, je n'aime pas du tout. Déjà me revient la nostalgie, l'odeur des bougies, les chants de l'Avent, la crèche le soir avec mes frères et ma mère. Et puis c'est le mois du rouleau-compresseur festivo-hivernal, je dirais plutôt  hâtivo-infernal. On a beau le savoir, on glisse dès le début du mois sur un toboggan de courses, de préparatifs, de mises au point d'un planning serré entre parents, grands-parents, beaux-parents, séparés ou non. Les petits bout'choux ont jusqu'à 4 "Noëls" consécutifs, l'important c'est de tout caser avant le réveillon du nouvel an, où on arrive harassé, avec parfois même plus
envie de boire du champagne. C'est dire!
Ouf, vivement l'année prochaine
!

dimanche 9 septembre 2012

Ce soir j'attends "bas de laine"

Ouf, on s'en sort bien.
Tout heureux, je viens d'apprendre que la BCE reprend sans limites sur le marché secondaire les emprunts à court terme des pays de la zone Euro en difficulté.
J'espère que l'on ne trouvera pas d'actifs toxiques dans ces reprises, et que les fonds anglo-saxons de placement n'y verront pas matière à spéculation. Car on ne sait jamais. Il faut se méfier de tous et de tout maintenant, on vit dangereusement.
Je me souviens, j'étais en 9ème, (CE2 pour le public, mais j'étais dans le privé, comme à l'époque la majorité des écoliers du Nord-Pas de Calais).
En 9ème, donc, la leçon portait sur le prix de vente, qui était alors égal au prix de revient plus le bénéfice. Que la vie semblait simple et limpide! En leçon de perfectionnement, on avait même décomposé le prix de revient en matières premières achetées et heures de travail. Pratique!
Pour moi j'avais en main le sésame de l'économie mondiale, un peu comme U = RI en électricité.
Mais cette clé n'ouvre plus rien aujourd'hui. Bert Bernanke lui-même, le patron de la Réserve Fédérale des US, avoue ne pas tout saisir dans la valse des milliards de dollars qui changent de main virtuelle à chaque milliseconde.
Alors moi, hein? Peut-être que vous, lecteur(trice) avisé(e), vous maîtrisez le sujet économico-planétaire. Mais de mon côté, je me sens baladé dans tous les sens avec une force qui n'a d'égale que la compression de mon pécule boursier, et qui me transforme en ours polaire regardant avec tristesse fondre son bout de banquise.
Une amie m' a dit récemment que ses deux garçons avaient suivi des voies bien différentes dans la vie. L'un venait de passer son agrégation de philosophie, et partait faire prof dans un lointain lycée en Champagne-Ardennes. L'autre terminait à Cambridge un doctorat de mathématiques appliquées à la finance, et avait plusieurs propositions à la City, des ponts d'or pour optimiser les redoutables outils des traders d'outre-Manche.
Elle était un peu triste, se sentait presque coupable....Je l'ai félicitée chaleureusement pour l'un de ses garçons, et lui ai fait part de toute ma compréhensive sympathie pour l'autre.

Mais pour lequel, au fait?

Cornouaille


J'ai vu hier le film Cornouaille, avec Vanessa Paradis et Samuel Le Bihan.
Un beau film, très bien joué, où je n'ai pas forcément tout compris. Disons plutôt que ce film permet de comprendre un peu ce que l'on veut, et c'est bien ainsi.
Sacrifions une seconde à la page people: j'ai eu la chance d'apprécier Samuel Le Bihan cette année dans la pièce de théâtre "Hollywood". Il y est extraordinaire,et ses partenaires le sont à peine moins. On y rit, on y jubile,on a mal aux zygomates, on n'a pas honte de rire, ce n'est pas grossier, çà ne se moque de personne. Rien ne s'approche du théâtre dans ces moments de grâce. Bien sûr on reste spectateur, mais on se sent tellement vivant!
Cornouaille, donc. Attention, quand elle s'écrit avec un s au bout, c'est la pointe sud-est de l'Angleterre (Cornwall). Ici, c'est sans s, la pointe sud-est de la Bretagne, de Quimperlé à la pointe du Raz, en passant par Concarneau et Audierne.
Une parisienne part pour quelques jours en Bretagne vendre une propriété dont elle vient d'hériter. Un amour de maison perdue, coincée entre la lande déserte et l'océan à perte de vue, une plage de sable aux varechs ondulés à ses pieds. Même pas en rêve! On peut imaginer ce qui va se passer, même si ce n'est pas tout simple. On voit donc la maison pendant tout le film, en long et en large, au lever, au coucher du soleil....On y hume les odeurs exquises de bois que l'on brasse, de far au four et de bar au barbecue.
Eh bien, bizarrement, ce n'est pas cette maison ni le paysage qui m'ont ému. Pour moi, et sans que je puisse d'abord me l'expliquer, le plus beau moment du film, c'est une baignade toute simple, impromptue, dans les vagues de l'océan. On les voit tous les deux habillés, avec juste le bas de pantalon remonté, comme pour tâter l'eau. Mais les vagues sont mutines et le courant taquin. Les vêtements et les cheveux bientôt trempés, Odile et Loïck s'en donnent à coeur joie et sautent comme des enfants toujours émerveillés. J'ai ressenti au plus profond de moi ces vagues et ce contact direct avec l'eau, et je me suis dit que finalement, c'était bien ce contact avec la mer qui comptait et pas la maison derrière.
Et dire qu'avoir une petite maison avec vue sur la mer est un de nos rêves familiaux, notre serpent des mers chaudes (même tièdes), notre leitmotiv estival. Oui, ce n'est pas très original, je le reconnais, mais après tout, comment résister à nos pulsions animales? Nous sommes constitués en majorité d'eau salée, et nos lointains ancêtres avaient des nageoires... Alors ! Sur tous les rivages, dans toutes les criques, au bord de toutes les plages, chacun de nos séjours de vacances se conclut par une promesse, très sérieuse et très argumentée, de revenir et d'y devenir propriétaire. A ce rythme, nous devrions déjà avoir une vingtaine de homes sweet homes, répartis sur toute la côte française, DOM TOM y compris.
Mais Cornouaille m'a ouvert les yeux. Quand on y regarde bien, l'important, c'est l'eau, pas la pierre. Les splashs dans les vagues, pas les volets à repeindre. Les galets plats et ronds pour se sécher au soleil, pas le fioul à commander pour la chaudière. Et puis, imaginer les volets clos dix mois sur douze, c'est presque une offense, une insulte à ceux qui n'ont pas de toit... Alors, avoir deux maisons, c'est en avoir une de trop.
Et puis, pourrons-nous revenir toujours au même endroit, fût-il paradisiaque? Impossible, sans édulcorer les sensations, sans dévoyer le plaisir. Eh oui, la routine au paradis, c'est quand même la routine. Plus de découverte, plus de nouveauté, je sens déjà la rouille qui s'installe.
Bon, je ne sais pas si mon épouse sera convaincue.

lundi 9 juillet 2012

Digicode, tu me reconnais?

"Si tu ne le trouves pas dans le carnet à l'entrée, il doit être quelque part dans le petit carnet violet sur ma table de nuit, et dépêche-toi, les gens derrière commencent à s'impatienter."
Je n'avais aucune inquiétude sur la capacité de mon épouse à tenir tête à la meute acheteuse de n'importe quel magasin, fût-il grand et parisien.
J'avais par contre de sérieux doutes sur mes capacités en recherche de mot de passe. Seul dans l'appartement, le portable collé à l'oreille, je m'activais avec frénésie. Cinquante pour cent de remise sur des draps de je ne sais plus quelle marque (fabrication française), cela valait la peine.
"Attends, il doit y avoir un 8 dedans!"
Grâce à cette précieuse indication, je trouvais comme
par miracle un numéro de quatre chiffres griffonné au crayon à la dernière page, numéro qui permit d'amadouer le cerbère électronique à l'autre bout du fil. Ouf, un épisode qui se termine bien.

Je n'en peux plus de tous ces chiffres.
Avant-hier, j'ai dû retourner au garage où j'avais laissé mon véhicule en révision, je ne me rappelais pas du code de démarrage. En fait, mes doigts savaient exactement quoi taper, mais allez l'expliquer au téléphone!
Hier, c'est encore mon téléphone portable, bureau-fil-à-la-patte ambulant aimablement distribué par ma société, qui a décidé que je devais changer de mot de passe. Pas après-demain, pas demain, non, tout de suite.
Et si vous l'éteignez, vous devez utiliser le code PIN et le mot de passe. Quand vous vous trompez, un décompte vous stresse, encore 2 possibilités, encore une... aïe aïe aïe...Avec les touches qui deviennent de plus en plus petites, mes mains toujours pleines de gros doigts patauds me handicapent lourdement dans mon rapport au monde moderne.

Au début, il n'y avait rien, pas un code, pas un mot de passe.  Puis est arrivée la carte bancaire à puce.  Et soudain, j'ai eu un code à 4 chiffres à retenir. Au fur et à mesure des nouveautés encodables, dont l'immense explosion d'Internet, j'ai toujours conservé ces mêmes 4 chiffres, quitte à les doubler, les recommencer quand il en fallait plus. J'ai le même code pour le casier à la piscine et les petits cadenas inutiles des valises d'avion. Si Alzheimer me taraude un jour, j'oublierai mon nom avant ces 4 chiffres.
Mais l'imagination des responsables de la sécurité informatique n'a d'égal que leur profond sadisme. Finis les 4 chiffres faciles, il faut maintenant que les codes comportent des majuscules, des minuscules et des "caractères spéciaux". Ils donnent même un moyen mnémotechnique, il faut prendre les premiers éléments des mots d'une phrase facile à retenir. Exemple: La France a battu l'Espagne 3 - 0 ! ce qui donne LFabl'E3-0!  Oui, pas facile à croire
,  mais il faut savoir que ce résultat a été obtenu en golf miniature, et encore, le champion espagnol était grippé. Difficile à retenir, quoi. Je vis dans l'angoisse du trou de mémoire.

Heureusement l'espoir renaît. Je ne suis pas le seul à être dans un tel état de nullité codifiée. Maintenant, pour continuer à faire du business avec des clients comme moi, le système demande la plupart du temps: "code oublié?" et hop, il nous envoie dans la seconde un code par SMS sur le téléphone portable. Plus besoin de rien retenir. Le bonheur.
Exemple: il est minuit une, la réservation de Faust à l'Opéra est ouverte depuis une minute, je l'attends depuis 10 ans. Je me précipite sur la réservation, mais il faut un code (tiens, je ne m'en souvenais pas). Qu'à cela ne tienne, je clique aussitôt sur "code oublié", et je vais chercher mon fidèle portable qui clignote déjà, recelant le nouveau sésame. Je n'ai plus qu'à l'ouvrir, c'est vraiment simple.  Ah, tiens, lui aussi me demande un mot de passe... Euh...
Bon, eh bien on n'ira pas voir Faust, d'ailleurs c'est trop
triste.

mardi 3 juillet 2012

"Veux-tu être mon ami?" Non merci!


"On n'a pratiquement plus d'amis"
Mon épouse avait mis du temps à s'en rendre compte, mais ce qu'elle venait de me dire était tout-à-fait juste.
Je ne pus qu'acquiescer, et répondis aussitôt par une question, comme les Jésuites me l'avaient appris: "Tu as raison, et d'après toi, à quoi c'est dû?" En fait de mon côté, ce n'était pas un constat, je dirais même que c'était plutôt le résultat d'un long et patient travail personnel. Bien sûr, on n'est jamais à l'abri de rechutes, mais j'étais assez satisfait de la raréfaction de nos relations, de la quasi disparition des corvées "amicales".
Voici bien longtemps, seule la fuite m'avait permis de leur échapper, comme lorsque nous avions déménagé vers la région lyonnaise laissant derrière nous des montagnes de dîners entre amis...
Mais maintenant, peut-être l'âge aidant, il est devenu inutile de fuir. J'assume totalement mon attitude. Depuis plusieurs années, il est exceptionnel de rendre une invitation à dîner. C'est très efficace.
Réponse de mon épouse: "Aussi, tu ne fais aucun effort". Bien répondu. Bien vu.
Quoi, direz-vous, j'étale sans pudeur mon acide misanthropie? Que nenni. Au contraire, j'accorde trop de prix à l'amitié pour la cantonner dans de fades propos convenus de convives attablés. Il faut quand même qu'on vive, dirait Gérard Manset!
Intéressons-nous un instant à ce rituel du repas entre amis. Et d'abord tout ce qu'il ne faut pas aborder: la religion, la politique et le sexe. En fait, on en parle plus facilement avec son voisin de bus, de métro ou de bistrot qu'avec ses amis. Alors de quoi parle-t-on? De cuisine, de cinéma, de sport, de vacances, d'enfants, de boulot. Et hop, on a fait le tour. Ah oui, on fait aussi le tour du propriétaire histoire de piquer quelques idées de déco. Comme de plus on boit de moins en moins, pas d'échappatoire alcoolo-provoquée, pas de douce torpeur dans les vapeurs de digestifs. Régime sec et plats équilibrés. Bref, neuf chances sur dix de "passer un bon moment", ce que je traduirais par "royalement s'emm... ."
Pour oser appeler amitié une relation avec autrui, j'ai noté trois conditions indispensables, c'est peut-être un peu simpliste, mais cela fonctionne:
- d'abord, faire autre chose que dîner, avoir une véritable activité à partager. Sorties, danse, vélo, piscine, voile, vacances, randonnée... alors les repas sont facultatifs.
- ensuite, accepter et apprécier le silence. Etre capable de se trouver ensemble, marchant, lisant, vaquant chacun à une occupation, ou même simplement rêvassant, sans rien dire. Ne pas avoir à séduire, à imposer ou à convaincre. Etre juste content d'être ensemble.
- enfin, le plus difficile car le plus subtil. Etre certain de compter pour elle ou pour lui. Comment en être sûr, si ce n'est par des actes? Partager les bonnes choses, mais aussi les moins bonnes et les carrément mauvaises.. Le dicton a du bon, c'est dans l'adversité que l'on reconnaît ses amis. C'est un bon test, et qui arrive toujours tôt ou tard.
Pas surprenant que le nombre de nos amis fonde alors comme neige au soleil, mais je peux vous assurer que ceux qui restent forment un socle plus dur que le marbre, un repère plus lumineux que le phare d'Ouessant, une source plus revigorante que la Fontaine de Jouvence.

samedi 2 juin 2012

Secret médical


"Je suis désolé, Monsieur PAM, mais votre dernier bilan n'est pas bon".
J'étais assis inconfortablement sur le rebord de la chaise, le dos inhabituellement droit, mes deux mains coincées entre les cuisses, et je me sentais fautif comme un petit garçon qu'on aurait surpris les doigts dans la confiture..
Vous avez remarqué combien on est peu de choses dans un cabinet médical?
Le digne médecin qui m'apostrophait de la sorte avait enlevé ses lunettes et me regardait fixement en ayant joint avec emphase les mains au-dessus de mon épouvantable dossier. Ce geste de prière muette, je l'imaginais ainsi: "Ô Esculape, dieu des guérisseurs, viens à mon aide. Je ne peux plus grand chose à mon niveau humain, trop humain, pour ce pauvre hère qui me fait face. Rien n'y fait, ma science a atteint ses limites. Aussi, je m'en remets à ta puissance divine, exauce ses voeux, accompagne ce malheureux mortel."
J'osai rompre le silence glacial qui s'était installé: "Mais, docteur, depuis la dernière fois, j'ai quand même fait de gros efforts".
"Ah oui? eh bien j'aimerais bien savoir où?!"
"Regardez, à force de volonté, j'ai réussi à passer de 1,90 gramme de cholestérol à 1, 92 gramme. Il faut dire que je me suis vraiment gavé de frites et de Mac Do, une fois par jour...."
"Parlons-en, de votre cholestérol, allons dans le détail, puisque vous insistez; regardez, le bon cholestérol progressé, et le mauvais, lui, a encore baissé. Non, non, vous n'y mettez vraiment pas du vôtre. Les bonnes intentions ne suffisent pas, je ne vois rien de positif dans ce dossier. Si au moins vous respectiez mes consignes, mais vous êtes incapable de vous mettre à fumer et à boire!"
"Vous êtes vraiment sévère, j'ai quand même été opéré des genoux il y a 45 ans, c'est bon pour mon dossier, les genoux, et je ne cours plus au tennis comme avant."
"Bravo, peut-être, mais vous surcompensez en faisant 3000 mètres en piscine par semaine. Ne niez pas, j'ai mes indics. Allons, avouez, avouez que vous ne pouvez pas vous passer de vos addictions primaires. Eh bien, tant que vous persisterez, toutes mes compétences seront inutiles. D'ailleurs, je pense que nous allons en rester là entre nous."
Je sursautai: "Non, non, je vous en prie, vous êtes mon seul espoir. Aidez-moi, donnez-moi une dernière chance." J'avais réprimé l'envie de me mettre à genoux, mais il aurait encore fait une remarque sarcastique sur la souplesse de mes articulations. J'insistai: "Tenez, procédons pas étape, fixez-moi, un objectif, un seul, et je ferai tout pour l'atteindre".
L'ancien interne des hôpitaux de Paris cligna alors des yeux, comme amusé par cette dernière idée, parcourut rapidement mon dossier qui semblait lui brûler les doigts, et s'arrêta sur une ligne.
"Soit, je vous prends au mot. Puisqu'on n'arrive à rien avec le cholestérol et les triglycérides, j'exige que vous reveniez le mois prochain avec un mauvais taux de globules rouges. Je ne dis pas anormalement bas, je dis simplement dans la partie inférieure de la fourchette, disons 42 % maxi. Une petite anémie cela aura son effet. Vous vous débrouillez comme vous voulez, mais vous ne prenez plus de protéines. Après la piscine, juste une soupe de courgettes, après le jogging une infusion de tilleul. En fait, je ne veux pas le savoir. Mais une chose est sûre, sans changement important vous concernant, j'arrête tout.
Soyez certain que pour l'instant toutes vos demandes pour mettre vos biens en viager continueront à être rejetées par les médecins conseils. Votre santé est beaucoup trop bonne pour vos 90 ans! Que voulez-vous, c'est la jurisprudence Jeanne Calment !"

samedi 14 avril 2012

Elite, elite, lama sabachtani

Une foule amassée  bloque mon chemin habituel  dans la grande allée commerciale de Vélizy 2. La cause est d’importance: un casting public de l’agence de mannequins Elite. Le plus impressionnant c’est que la foule des prétendantes est encore plus importante que celle des spectateurs. Elles attendent debout des heures, bien sagement, puis elles passent quelques secondes, huit par huit, alignées comme à la recherche d’une coupable. A l’appel de leur prénom, elles marchent quelques mètres, puis la sentence tombe. Ici, on retient les numéros 3, 5 et 6 pour l’étape d’après, là on ne retient personne: juste « Merci mesdemoiselles », alors que je les avais trouvées bien belles aussi.   
Ainsi, je n’ai pas pu échapper à ce raz-de-marée du choix qui élimine, à cette invasion de la sélection qui  évacue, à cet envahissement du tri  volontaire qui efface. Je ne passe que quelques secondes devant la télévision allumée mais la scène est toujours la même. Exemple: devant des millions de spectateurs, un jeune en tenue de marmiton explique avec des sanglots dans la voix que son omelette « blanche dehors et jaune dedans » est ratée, et qu’il va se faire éliminer de Super Chef. On comprend tout de suite que c’est très très grave. L’instant d’après, le malheureux est au garde-à-vous, devant un jury de tragédie grecque, avec une musique qui pèse des tonnes et  qui ferait passer le Requiem de Mozart  pour le générique de Barbapapa. Il manque juste le moment où l’on casse sur le genou sa cuillère en bois et son couteau à découper les légumes, comme l’on brise l’épée d’un officier avec sa carrière.

On a la même chose avec les chanteurs, les danseurs, les séducteurs, les humoristes, les répondeurs aux questions pour un champion, les mangeurs de scorpions dans une île déserte, et même avec ceux qui ne font rien du tout pendant des semaines, à plusieurs sous un microscope géant.  

Il faut le reconnaître, l’intérêt du spectacle, ce n’est pas de voir son (ou sa) favori(te) franchir victorieusement les étapes. Non, le vrai plaisir, c’est de voir tomber lamentablement tous ceux qui se prennent les pieds dans le tapis. Rien de tel pour le moral que de les voir se faire virer comme des malpropres. Pleurera, pleurera pas ? Ou alors, quel hypocrite, on le voit congratuler son concurrent,  celui qui vient de le transformer en serpillère. Le maillon faible, c’est aussi très drôle quand c’est l’équipe elle-même qui l’élimine, comme dans Koh-Lanta. Ainsi, les gagnants sont éclaboussés par tous les coups de glaive qu’ils ont dû donner autour d’eux pour y arriver. Quel bonheur, même les héros sont méprisables. Et puis, on oublie une seconde que nous aussi, nous sommes sous le crible permanent du tri sélectif. Rien ne lui résiste, prenez votre ticket et inscrivez-vous, depuis  la place en crèche jusqu’à la place en maison de retraite, en passant par  l’école qui va bien, le job qui va mieux, le logement idéal, la participation à la prochaine séance de speed dating.

Les soixante-huitards enthousiastes avaient rejeté en vrac  l’autorité, la société de consommation et la « sélection, piège à c.. ». Le monde actuel les a évacués, oubliés, ou les traite d’attardés. J’aimerais juste qu’ils soient simplement en avance.

samedi 17 mars 2012

Paradis bleu

« Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens, c’est d’une voix vibrante d’émotion que je m’adresse à vous aujourd‘hui en mondiovision, car c’est la dernière fois.» L’homme qui s’exprimait ainsi apparaissait simultanément en hologramme aux 20 millions d’habitants de la planète Terre. Il avait un peu plus de 40 ans, il était svelte, d’allure sportive, et mesurait environ un mètre quatre-vingts. Le visage régulier et avenant, il affichait une santé resplendissante et son sourire montrait des dents d’une blancheur immaculée. Il arborait un costume bleu marine sur une chemise blanche qui faisait ressortir sa peau brune et la couleur noire de ses cheveux coupés court. Ses yeux bruns semblaient s’illuminer et s’adresser à chacun des habitants de la planète lorsqu’il s’exprimait.
« Ce 1er janvier 3001 s’ouvre en effet sur un nouveau millénaire, mais il est surtout le premier jour d’une ère radicalement nouvelle pour l’humanité. Cette humanité qui a été à deux doigts de s’éteindre lorsque les haines ethniques ont libéré ses instincts les plus bas et ont conduit à la quasi destruction de la planète. Vingt-cinq milliards d’hommes, de femmes et d’enfants ont disparu engloutis dans cette spirale infernale, avalés par la guerre des Temps Maudits. Les survivants ont su tirer définitivement les leçons de cette tragédie, et se fixer l’Objectif. Aujourd’hui, nous y sommes. » Il s’interrompit alors, se tourna légèrement et tendit la main  pour saisir celle d’une jeune femme qui apparut ainsi dans le champ de l’hologramme, si nette que les spectateurs avaient l’impression de pouvoir la toucher. Elle avait la peau mate, quoique légèrement plus claire, de son compagnon, mais ses grands yeux en amande étaient plus sombres. Une épaisse chevelure noire et bouclée descendait plus bas que ses épaules et son sourire éclairait un visage à l’ovale parfait. L’hologramme reproduisait fidèlement la finesse du dégradé de sa robe, depuis le bleu clair subtil du décolleté jusqu’au bleu outremer profond à mi-cuisses. Bien ajustée, elle mettait en valeur ses formes féminines affirmées.  C’est elle qui prit la parole : « Chers habitantes et habitants du monde, enfin ! Enfin, plus de guerres, plus de crimes, plus de meurtres, plus de haine. Oui, après des décennies de dur labeur, nous sommes arrivés à l’Objectif. Plus de différences, nous sommes enfin tous identiques ! Nous partageons le même ADN à la molécule près, nous sommes le même homme et la même femme multipliés à l’infini. Nos anciens les ont rêvés, et nos scientifiques les ont façonnés. Nous sommes, vous et nous, l’Homme Idéal et la Femme Idéale. Comment pourrions-nous encore nous détester, nous entretuer? Quelle journée merveilleuse, nous allons désormais vivre l’Age d’Or, dans le partage et dans l’amour. Au … »
La jeune femme s’arrêté brutalement de parler, disparut de l’hologramme, comme son compagnon. Après quelques secondes, ils réapparurent, ou plutôt, ce devaient être deux autres personnes car un petit détail vestimentaire changeait : la cravate de l’homme était violette, comme la robe de la femme. Celle-ci tenait un revolver fumant  à la main. Elle prit la parole : « Ainsi meurent les sales bleus.  Que ceci vous serve de leçon, à tous les bleus, mais aussi aux verts, rouges,  orange, indigos et autres jaunes sans parler des gris. Nous, les violets, nous saurons où vous trouver, et nous vous exterminerons.»

dimanche 19 février 2012

Six milliards ... si proches

Six milliards d'autres...projet de Yann Arthus-Bertrand. C'est un miroir de l'humanité. Des milliers d'interviews partout sur la planète, toujours les mêmes questions fondamentales, qui s'adressent à tout être humain.
Et à moi, et à moi, et à moi!, comme dirait Jacques Dutronc.
J'ai été passionné par les sujets abordés (comme le sens de la vie dans mon message précédent). Ils nous remuent, ils résonnent dans notre tête. Je me suis prêté à cet exercice, en essayant de respecter la spontanéité des interviews.


Amour: Un japonais questionné dit tranquillement qu'il pourrait donner sa vie par amour. Cette idée, très belle (mais très conceptuelle), je la reprends à mon compte. L'amour est une alchimie interne qui donne des ressources surhumaines, au delà de la vie et de la mort. Mais la plus belle preuve d'amour, c'est de le préserver et de l'embellir au quotidien, entre la marguerite et le pot-au-feu, entre la rose et la vaisselle.

Dieu: Invoquer son nom a justifié trop de haines, de souffrances et de morts. S'il n'existe pas, pourquoi s'en soucier? S'il existe, sa vie et la nôtre sont totalement étanches, alors pourquoi s'en soucier? Il est, dit-on, une réponse à l'angoisse de la mort: à voir vivre les croyants, je n'ai pas l'impression que cette réponse soit à la hauteur des attentes.

Différences: J'ai été frappé en regardant les centaines d'interviews par l'unicité de l'humain. Des plateaux boliviens aux plaines russes, des forêts finlandaises aux déserts maliens, des mégalopoles américaines aux villages papous, la même profondeur des réponses, les mêmes aspirations, les mêmes rêves. Une superbe leçon. Ah oui, j'ai oublié un hiatus, un décalage, c'est lorsque Dieu s'invite et répond à notre place. "Circulez, il n'y a rien à réfléchir." 

Enfance: Est-il banal de dire que j'ai eu une enfance heureuse? A choisir, le meilleur souvenir se passe en voiture en famille. Sur des petites routes de vacances en Italie, à chanter ensemble et à tue-tête du Henri Salvador et du Joe Dassin, zaï zaï zaï zaï.... 


Epreuves: J'en ai peu connues, mais elles ont laissé à chaque fois une trace indélébile. Trop personnelles, je les garde pour moi. Je peux quand même dire que je suis très peu doué pour les épreuves. Par contre, l'attitude et les interventions de mon épouse ont toujours forcé mon respect. Ce n'est pas un hasard si la nature nous pousse à vivre à deux. Comme dans le partage de l'ADN, elle mélange et retient le meilleur des deux. (Ce n'est pas toujours le (ou la) même selon l'occasion.)


Famille: Décidément un pôle qui revient souvent dans les réponses. Il est vrai que, pour ceux qui en souffrent, c'est une plaie jamais cicatrisée mais je n'ai pas connu cette douleur. Pour moi, la famille est comme l'air que l'on respire, naturelle. Que ce soit celle d'où je viens, celle que j'ai fondée, et celles que fondent mes enfants. C’est quand l’air vient à manquer que l’on se rend compte de son importance.


Guerre: J'ai longtemps cru que les bons combattaient les méchants, sur des grands champs de bataille au son du clairon et des canons. Mais la guerre, c'est ton voisin depuis 20 ans, celui qui prenait hier l'apéritif chez toi, et qui vient aujourd'hui assassiner ta famille à coup de mitraillette ou de machette. Avons-nous tous cette part d'ombre?


Joie: j'ai la chance d'avoir eu des joies très fortes dans ma vie, et j'espère que ce n'est pas fini. Joies de la pratique de la voile, de la randonnée, de la danse, de l'écriture, et même (parfois) dans mon travail!... J'ai eu la joie indicible de voir mon épouse enceinte trois fois, j'ai vu naître mes trois enfants, en bonne santé. C'étaient des joies intenses, mais un peu teintées d'anxiété. Si je cherche une joie sans nuage, profonde et durable, j'ose dire ici que c'est mon épouse qui me l'a apportée, en répondant à mes timides avances.  


Nature: A donné l'adjectif naturel, qui va de soi. Nous ne sommes pas entourés par la nature, nous sommes dans la nature. Nous sommes trop occupés à conserver notre mode de vie pour voir qu'il mène dans l'impasse et détruit petit-à-petit ce qui allait de soi jusqu'à présent, et peut-être nous-même.

Peur: J'ai été profondément touché par cet éthïopien dont la plus grande peur était la faim pour ses enfants. Il leur apprenait à très peu manger... Ma plus grande peur est aussi la souffrance de mes enfants. Et j'ai moins peur de la mort que de la vieillesse, comme Jacques Brel.



Progrès: Progresser veut juste dire à la base "aller de l'avant". C'est le sens commun qui a ajouté un côté positif. Il est vrai que nos parents ont vécu sur les ailes des trente glorieuses. Mais on peut maintenant penser aux sept vaches maigres de l'Ancien Testament. Pour moi, le progrès va de pair avec une gestion juste de décroissance volontaire. Qu'on le veuille ou non (cf. la Grèce, et bientôt une bonne partie de l'Europe) il faut réduire la voilure, jeter du lest, retrouver l'essentiel. Et tout cela alors même que les disparités de richesses sont encore flagrantes. Ce ne sera pas facile. 

Message à transmettre à ses enfants: Inutile de croire que quelques lignes ici seront efficaces. Seul l'exemple est valable. J'espère que mes enfants sauront, comme Renaud, "aimer la vie, même si le temps est assassin, et emporte avec lui les rires des enfants". Mon père en est un merveilleux exemple. Encore et toujours enthousiaste, curieux, aimant l'humour et confiant dans l'autre.


lundi 16 janvier 2012

2012: panne du sens?

2012, une nouvelle année, peut-être la dernière pour le genre humain si l'on en croit le calendrier inca.
Mais qu'est-ce que cela change de toute façon? La fin du monde est vraiment un non-évènement que nous ne pourrons même pas commenter.
Peut-être quand même une petit voeu: si elle doit arriver, que ce soit au moins avant le dernier tiers provisionnel, cela me simplifiera la vie.

J'ai été frappé récemment par la vacuité de réponses entendues à la question "Quel est le sens de la vie?"
et je me suis rendu compte avec horreur que j'aurais été aussi creux, autant pris à l'improviste. Je n'ai pas la réponse. Et vous?

C'est ambitieux, et sûrement naïf.  Que répondre?
"Le sens de la vie, ce sont les enfants" Quelle que soit l'importance de la famille, ce serait une erreur de logique, conserver la vie ne lui donne pas un sens.
"Le sens de la vie, c'est  l'amour". Même si l'on est tenté, (comme Laurent Voulzy," Je suis venu pour elle"), il ne faut pas non plus confondre pourquoi et comment.  Les sentiments, la plupart des occupations, le travail, répondent au comment, pas au pourquoi.
"Le sens de la vie, c'est Dieu qui nous le donne". La réponse évidente de tout vrai croyant. La vie ici-bas est une antichambre brouillonne avant la vraie dans l'au-delà. Bon.
"Le sens de la vie, c'est la lutte, le don de soi pour une cause". C'est beau, mais je suis un peu sur ma faim.
"Le sens de la vie, c'est la création, l'activité artistique". Là je suis tenté... à creuser.
Faut-il croire Shakespeare dans Macbeth? "La vie (...) est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien". Peut-être, mais c'est bien dur.
Peut-être faut-il aussi chercher une réponse dans le regard que pose mon petit-fils Louis sur le monde qui l'entoure, sur la nature. Un regard neuf, étonné et confiant. Il n'a aucun doute. Il doit avoir la clef.

Puisque nous sommes des privilégiés, puisque nous avons la chance de pouvoir prendre du recul, je souhaite du fond du coeur que cette année vous apporte ou vous conforte dans ces deux choses merveilleuses. D'abord, une réponse limpide à cette question : "Quel est le sens de ma vie?".  Ensuite, que votre vie elle-même s'accorde pour aller dans ce sens. Je suis persuadé que la réponse existe pour chacune et chacun d'entre vous.
Que des contrées de paix, de joie et de vérité s'illuminent à l'horizon de votre vie. Que vos pensées, vos paroles et vos actes soient autant de brises puissantes qui poussent le voilier de votre existence dans leur direction. Excellente année 2012.