jeudi 24 février 2011

Merveilleuse jeunesse

Ce qui était encore inimaginable voici quelques mois est arrivé en Tunisie. Je me suis dit alors que la principale erreur de son ex-président était d'avoir développé l'éducation. Très dangereux pour lui! Il eût mieux fait pour sa carrière de dictateur de laisser la population dans un niveau d'ignorance bien plus pratique à manipuler. Mais non, il avait incité sa jeunesse, à faire des études. Or, le corrolaire des études, c'est la réflexion, la prise de recul, la comparaison. L'ex-président a ainsi remis les plans d'une grenade entre les mains du peuple tunisien. Et un jour, la grenade a été fabriquée, et s'est dégoupillée.
Quelle admiration pour cette jeunesse, pour ces foules qui se sont dressées pour réclamer et obtenir, espérons-le, la démocratie qu'elles méritent. Et le sang versé n'est pas virtuel, les victimes abattues ne se relèvent pas .

Je suis encore plus ébahi de voir que ce magnifique exemple fait tache d'huile dans de nombreux pays. Des pays où la très grande majorité de la population n'a connu dans sa vie qu'un seul despote, accroché encore et toujours au pouvoir. Et là, il n'y a pas à chercher une élite diplômée derrière les mouvements telluriques qui renversent les trônes. Il faut juste être émerveillé par la puissance des hommes et de femmes quand ils sont réunis par une même volonté, un même sentiment d'injustice.

Qu'est-ce qui a bien pu échapper à tous ces potentats vieillissants, englués dans leur pratique du pouvoir d'un autre âge? Je crois que le caractère commun à tous ces pays, outre bien sûr la main de fer qui les emprisonne, c'est la jeunesse. Une jeunesse forte de toute sa vitalité, débordante de toute son énergie, mais sans la capacité de la canaliser. Une jeunesse sans espoir, sans perspective, sans avenir, sans reconnaissance. Méprisée.
Et qui utilise en vrai stratège la seule arme moderne dont elle dispose : les réseaux sociaux Internet. Arme de sape massive, ceux-ci agissent comme une caisse de résonance, un creuset bouillonnant, qui éclate violemment à la surface sans prévenir!
Finalement, avant même l'accès à l'éducation, la principale erreur des chefs à vie, ceux qui ont les fesses taraudées pour être mieux vissés à leur fauteuil, c'est d'avoir négligé le contrôle des naissances. Trop de jeunes, voilà l'erreur.

Quoi qu'il en soit, c'est une bien belle page d'histoire qui se tourne de l'autre côté de la Méditerranée. Il n'est pas possible de faire de comparaison avec nos démocraties établies, mais on peut imaginer une sorte de morale à l'usage de tous les pouvoirs:

Le mot FIN n'est pas écrit sur les livres d'Histoire, de belles pages sont encore à écrire, fût-ce avec le sang vermeil et généreux de la merveilleuse jeunesse.

mercredi 16 février 2011

Twingomobiliste

Greg, récemment disparu, était un auteur de bandes dessinées immense par le talent. Il a fait vivre des années son personnage Achille Talon, immense par le tour de taille.
Je me souviens d'un épisode où un agent réglant la circulation crie sur les berlines, hurle sur les camions, et agite paternellement l'index quand l'Achille passe au volant de sa minuscule voiture.
J'ai un peu cette impression depuis que j'ai troqué mon Evasion Sept Places pour une Twingo Première Génération.
J'aime cette petitesse, ce minimalisme que Coluche aurait comparé à une poubelle (mais quand même moins bien car sans les poignées). Et c'est moins tape-à-l'oeil qu'une Smart, qui en plus fait de la pub!
Quand les frimas de décembre m'ont poussé à l'équiper de pneus neige, je me suis vu répondre avec dédain "Ah, on ne fait plus de si petites tailles !".
Mais moi, cela me va bien, tout y est petit, comme l'appétit. De plus, elle a le niveau de sophistication électronique et informatique des années 50, ce qui est plutôt rassurant.
Oh, je ne prends pas beaucoup de place sur la route. D'ailleurs, je ne fais que l'emprunter. A qui? Pas aux prédateurs, 4x4 BMW, Audi et autres Cayenne dont les gros phares éblouissants ourlés de LED m'arrivent à la hauteur des yeux. Leurs conducteurs m'ignorent, ils dominent la route, le regard projeté au loin vers leur vie trépidante, leurs futures conquêtes. Mais moi, à l'étage inférieur, je peux à loisir contempler les ornières de la route, comme autant de montagnes russes que ma Twingo escalade et dévale vaillamment. J'y retrouve d'autres Twingomobilistes, nous nous saluons amicalement : nous sommes la confrérie secrète des adorateurs de l'asphalte. Nous en sommes si proches!
Quand je m'arrête au passage piétons pour quelques sympathiques écoliers encore un peu endormis, ils me gratifient souvent d'un vague geste de remerciement. Du moins c'est ce que je croyais. En fait, ils m'informent qu'ils m'ont bien vu, et qu'ils vont faire attention pour ne pas m'écraser en traversant!
Fabius était arrivé une fois en 2CV sur le perron de l'Elysée, mais c'était pour faire peuple... Je proposerais bien d'allouer systématiquement des Twingo à tous nos élus et grands commis de l'Etat... Humilité, frugalité, exemplarité, proximité, le tout dans 3,5 mètres....que demander de moins?

samedi 12 février 2011

La crise....quelle crise?

"Nous sommes sortis de la crise... La crise est derrière nous... La croissance revient..."
 Ces phrases du pouvoir et des experts me donnent le vertige. Je les entends d'ici: vite, effaçons les traces du petit faux-pas dû aux subprimes, et surtout continuons comme si de rien n'était. Même, rattrapons dare-dare le temps perdu. On a de la chance, Copenhage n'a rien donné, le G20 sauve les banques, alors profitons-en pour faire notre beurre, toujours plus de beurre. Après nous le déluge...
Mais moi, je n'en veux pas, de la croissance, je n'en veux plus, je la déteste. La croissance, c'est produire plus, c'est consommer plus. Toujours plus. Comme si le bonheur était proportionnel à l'accumulation et à la consommation.
Parlons-en du bonheur, on n'a jamais autant consommé...d'antidépresseurs. Le suicide est la principale cause de décès des 15- 49 ans en Europe. Et un européen consomme déjà trois fois ce que la planète peut supporter!
Ah oui, la croissance!! Nous en sommes au pillage général de notre planète, et nous n'avons comme seule ambition que piller plus et plus vite...!!
Sur le principe très simple de "A l'écurie, quand il n'y a plus de foin, les chevaux se battent", nous allons tranquillement vers la fin de notre civilisation. Une fin sanglante où l'homme va d'abord immoler le reste de la planète avant de s'en prendre à ses congénères. Des millions d'années de stagnation, des milliers d'années de progression, quelques centaines d'années de domination, et très bientôt la damnation. L'homme aura été une parenthèse bizarre, capable du meilleur comme du pire, et c'est dans le pire qu'il est le meilleur.
A mon niveau, je me sens bien démuni. Moi, j'attendais beaucoup de la crise, je voulais voir les choses changer, durablement. Oui, en finir avec l'individualisme, l'avidité, le désir de jouissance, le besoin irrépressible de "plus et mieux". Réapprendre la parcimonie, le partage, l'attention aux autres, la communauté... Mais rien n'a changé, l'ultra-libéralisme et ses excès planétaires semblent être l'ultime destinée de notre espèce. Sommes-nous foncièrement méchants?
Mon petit-fils a 12 mois. Chaque fois qu'il m'aperçoit, il me scrute, scrute, scrute de ses yeux sombres, sans ciller. Sérieux comme seul peut l'être un enfant. Que pense-t-il? Je ne peux m'empêcher d'y projeter mes propres préoccupations: "PAM, que le monde est beau ! Oh PAM, tu sais, j'ai confiance en toi. Tu m'as sûrement préparé une vie magnifique. Vous les grandes personnes, vous êtes tellement sages, tellement puissants..."
Le cri assourdissant des générations futures et de tous les êtres vivants ne franchit plus la porte dorée des cercles du pouvoir.

mardi 8 février 2011

De Cape et de Crocs


Le jour de ma naissance, mon frère aîné de 5 ans m' a apporté un journal de Mickey.
La plus belle des fées n'aurait pas pu mieux faire!
Abonné à Mickey, Spirou, Tintin, puis Pilote, j'ai ainsi appris à lire (entre autres) dans les phylactères.
Et appris aussi à vénérer toutes les séries de ces années créatrices de mythes : je suis toujours amoureux de Laureline et une houppette blonde pousse sur mon front dès que je voyage.
Depuis, de nombreux albums ont brillé aux devantures des librairies, XIII, Quête de l'Oiseau du Temps, Incal, Lanfeust, Triangle Secret, Black Sad, et bien d'autres séries. Je ris encore aux éclats grâce à Kid Paddle.
Mais je suis tombé raide d'émerveillement devant "De Capes et de Crocs," je remercie encore le libraire de la rue de la Paroisse qui m'avait conseillé. Un bien beau métier, libraire.
Comme Astérix, où je découvre encore de nouvelles perles après tant et tant d'années de lectures assidues, "De Cape et de Crocs" peut se lire et relire à loisir. Toujours on y trouvera , oh pas grand chose, un petit détail qui avait échappé, un ingrédient dont le fumet s'était perdu à la lecture rapide de l'histoire. C'est qu'il faut déguster ces albums. Pas possible de les aborder en vitesse assis en tailleur ou sur les marches à la Fnac.
Se dire d'abord que "De Cape et de Crocs" est un tout, le résultat d'une splendide connivence entre Alain Ayroles pour le scénario et Jean-Luc Masbou pour le dessin et la couleur.
L'histoire se passe au temps des mousquetaires: billets doux, robes à volants, envolées lyriques et bravoure à la pointe de l'épée.
Qualité des dialogues, poésie des vers rimés, finesse de l'humour, pétillance des références culturelles, chaque texte se lit et se relit pour la richesse de la langue, pour le plaisir des idées.
Beauté de vrais tableaux! Ici, pas de ligne claire, pas d'esthétisme réducteur. Il faut d'abord une première vue d'ensemble, pour admirer la fréquente hardiesse du choix des perspectives, la tonalité générale des couleurs. Le traitement en rouge et blanc de la bataille des Thyropyles est par exemple une vraie splendeur.
Puis il faut se rapprocher et apprécier le choix et le velouté des couleurs, le traitement des ombres. Un régal. Il faut enfin se coller à l'album pour y déceler tous les détails que l'imagination des auteurs y fait fourmiller. Pour une fois, j'ai de la chance d'être myope. Lunettes ôtées, oeil au ras des images, j'erre sur les vignettes, je me perds volontiers dans les détails. Je découvre les chats noctambules, le chapeau de l'espion, la mimique de Lope imitant Armand, etc...C'est sans fin, un vrai bonheur.
Décidément, la lecture de cette histoire est un moment rare, dont je ressors détendu et, comment dire, décrassé, l'esprit et le regard satisfaits et repus.
Haut les coeurs, telle la devise de Don Lope de Villalobos y : "Carne y Sangre !"