samedi 17 mars 2012

Paradis bleu

« Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens, c’est d’une voix vibrante d’émotion que je m’adresse à vous aujourd‘hui en mondiovision, car c’est la dernière fois.» L’homme qui s’exprimait ainsi apparaissait simultanément en hologramme aux 20 millions d’habitants de la planète Terre. Il avait un peu plus de 40 ans, il était svelte, d’allure sportive, et mesurait environ un mètre quatre-vingts. Le visage régulier et avenant, il affichait une santé resplendissante et son sourire montrait des dents d’une blancheur immaculée. Il arborait un costume bleu marine sur une chemise blanche qui faisait ressortir sa peau brune et la couleur noire de ses cheveux coupés court. Ses yeux bruns semblaient s’illuminer et s’adresser à chacun des habitants de la planète lorsqu’il s’exprimait.
« Ce 1er janvier 3001 s’ouvre en effet sur un nouveau millénaire, mais il est surtout le premier jour d’une ère radicalement nouvelle pour l’humanité. Cette humanité qui a été à deux doigts de s’éteindre lorsque les haines ethniques ont libéré ses instincts les plus bas et ont conduit à la quasi destruction de la planète. Vingt-cinq milliards d’hommes, de femmes et d’enfants ont disparu engloutis dans cette spirale infernale, avalés par la guerre des Temps Maudits. Les survivants ont su tirer définitivement les leçons de cette tragédie, et se fixer l’Objectif. Aujourd’hui, nous y sommes. » Il s’interrompit alors, se tourna légèrement et tendit la main  pour saisir celle d’une jeune femme qui apparut ainsi dans le champ de l’hologramme, si nette que les spectateurs avaient l’impression de pouvoir la toucher. Elle avait la peau mate, quoique légèrement plus claire, de son compagnon, mais ses grands yeux en amande étaient plus sombres. Une épaisse chevelure noire et bouclée descendait plus bas que ses épaules et son sourire éclairait un visage à l’ovale parfait. L’hologramme reproduisait fidèlement la finesse du dégradé de sa robe, depuis le bleu clair subtil du décolleté jusqu’au bleu outremer profond à mi-cuisses. Bien ajustée, elle mettait en valeur ses formes féminines affirmées.  C’est elle qui prit la parole : « Chers habitantes et habitants du monde, enfin ! Enfin, plus de guerres, plus de crimes, plus de meurtres, plus de haine. Oui, après des décennies de dur labeur, nous sommes arrivés à l’Objectif. Plus de différences, nous sommes enfin tous identiques ! Nous partageons le même ADN à la molécule près, nous sommes le même homme et la même femme multipliés à l’infini. Nos anciens les ont rêvés, et nos scientifiques les ont façonnés. Nous sommes, vous et nous, l’Homme Idéal et la Femme Idéale. Comment pourrions-nous encore nous détester, nous entretuer? Quelle journée merveilleuse, nous allons désormais vivre l’Age d’Or, dans le partage et dans l’amour. Au … »
La jeune femme s’arrêté brutalement de parler, disparut de l’hologramme, comme son compagnon. Après quelques secondes, ils réapparurent, ou plutôt, ce devaient être deux autres personnes car un petit détail vestimentaire changeait : la cravate de l’homme était violette, comme la robe de la femme. Celle-ci tenait un revolver fumant  à la main. Elle prit la parole : « Ainsi meurent les sales bleus.  Que ceci vous serve de leçon, à tous les bleus, mais aussi aux verts, rouges,  orange, indigos et autres jaunes sans parler des gris. Nous, les violets, nous saurons où vous trouver, et nous vous exterminerons.»