vendredi 31 décembre 2010

e-Noël

Comme chaque année, une des premières chroniques de France-Info le lendemain de Noël concerne le business des cadeaux revendus sur Internet, e-Bay ou autre... C'est bien pratique!
Le problème, c'est quand même que l'on a reçu à domicile le cadeau en question pour Noël. Pire, nous avons peut-être été obligés de sortir de chez nous, d'aller le chercher chez le gardien ou autre....
Et, horreur, il va falloir finalement le porter à la Poste pour l'envoyer à l'heureux acheteur.
C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas en rester là. Nous sommes encore dans une étape intermédiaire, il est grand temps de progresser tous ensemble vers une version beaucoup plus aboutie du traitement de cette période. Vive l'avènement de ce que l'on pourrait nommer le e-Noël.
Le e-Noël, c'est tout faire de chez soi, sans avoir à se déplacer.
De nombreux internautes commandent déjà les cadeaux sur Internet, cela devient de plus en plus classique, confortablement calés dans leur canapé. Mais cette démarche ne supprime pas complètement le stress lié à la gestion physique de ces cadeaux, comme par exemple la réception des colis avant la date fatidique. Quand la neige bloque les camions, les internautes anxieux bloquent leur respiration. C'est insupportable. Aussi, je propose que les cadeaux soient présentés le jour venu sous forme de mails animés aux heureux destinataires, qui n'auront qu'à cliquer ou non pour les accepter, ou déjà pour les mettre en vente.
Ils peuvent aussi les accepter, mais les laisser en garde pour en faire un cadeau ultérieurement. Quel gain de temps et d'énergie.
Pour les voeux de fin d'année, le "Merry Christmas", etc...c'est déjà dans la boîte virtuelle, on envoie une e-carte, et le tour est joué.
Oui, mais le repas de Noël, alors? Voilà un gros sujet récurrent de stress pour l'année finissante. J'y ai pensé, c'est lumineux, et visiblement je ne suis pas le premier.
On peut utiliser la technique de la vidéo-conférence partagée! Le foyer qui doit recevoir propose à l'avance plusieurs plats, les amis et/ou la famille concernée choisissent ce qui leur convient. Au jour et à l'heure prévue, le traiteur le mieux placé sur e-commerce livre les différents convives, et le repas peut commencer devant webcam et partage d'écran. Ne pas dépasser plus de 20 personnes, sinon on confond, ou alors prévoir un vidéo projecteur.
Plus de casse-tête de Catherine que l'on ne peut pas mettre à côté de Jean-Jacques, sinon Claudine fait un scandale, plus d'odeur d'escargots qui indispose, de choix cornélien entre huîtres et saumon, etc...Et pas de problème d'alcool au volant, puisqu'il n'y a plus de volant.
Ah, si le e-Noël avait été répandu en cette année verglacée, combien de crises de famille, de froissages de carrosseries, de fractures du poignet ou du col du fémur auraient ainsi été évitées !
Le e-Noël devrait être remboursé par la Sécurité Sociale.

mercredi 29 décembre 2010

Rantanploun

 Ce matin, Noun a tué un merle, ou une merlette.

Des plumes, du duvet et du sang sur le carrelage devant la porte-fenêtre menaient au petit corps déjà rigide et a priori intact, les pattes repliées, la tête recourbée, les yeux définitivement fermés.
Est-il (ou elle) mort(e) de peur, d'un emballement du coeur, comme on le dit souvent? Les traces de sang et les plumes éparpillées laissent à penser que les crocs de Noun ont dû aussi faire leur office.

 Noun est le chat de la famille depuis bientôt 10 ans, chat de rue sans pedigree, sans tares génétiques. Ses poils noirs, longs et touffus font bien penser aux chats persans, mais il parait que les chats persans sont intelligents, et nous n'avons pas eu cette impression avec Noun.
Elle est si gentille, si douce.. Passée entre les mains de trois enfants (et aussi de deux parents), elle supporte tout en ronronnant.
Sa meilleure définition, c'est le résultat du croisement d'une peluche et de Rantanplan.
Quoique...(cf. Raymond Devos).

Eh bien oui, cette peluche sur pattes qui ronronne papattes en rond quand elle nous laisse s'installer sur son canapé est aussi une tueuse.
Le jour de Noël, nous avons tous vu à plusieurs reprises une merlette, (ou était-ce un merle ?) se poser, en alerte, sur le bord du jardin, comme s'il ou elle cherchait.......Bien sûr nous projetons nos pensées dans cette cervelle d'oiseau, mais comment ne pas être un peu triste en ce jour particulier? Ce n'est certes pas le plus beau des cadeaux. Et comment en vouloir à Noun ?

Les Tamagoshis électroniques ont ceci de pratique qu'ils n'obligent pas à laver le sang coagulé sur le carrelage et à s'occuper des petites proies inanimées . Ces jeux virtuels donnent une vision bien Bisounours de la vie et des animaux de compagnie.
Merci, Noun, pour nous rappeler que les griffes sont toujours présentes sous le velours.

dimanche 19 décembre 2010

La (GROSSE) galette des Rois

Et voilà que les galettes des rois réapparaissent dans les rayons des mini, médium, super et hypermarchés, et aux devantures des boulangeries.
Elles attirent l'oeil dans leurs sachets plastifiés, luisantes de beurre ou de margarine. Un grand panneau publicitaire complète la scène: "Fêtez les Rois !!"
Ces galettes à déguster en famille célèbrent l'Epiphanie, fête antique annexée par les chrétiens, où Jésus est fièrement présenté aux Rois Mages par Marie et Joseph.
On peut logiquement penser que cette présentation a lieu après la naissance! En effet, Noël est fêté le 25 décembre, et l'Epiphanie le 6 janvier (de l'année suivante).
Donc tout va bien.

Mais alors, ces galettes? Quel jour sommes-nous? Le 15 décembre!
Les cadeaux de Noël ne sont pas encore distribués, voire pas encore achetés, que déjà il faut penser à l'Epiphanie, dans 21 jours!
C'est l'urgence, tout est urgent, et surtout les achats.
Encore quelques semaines, et on aura droit aux chocolats de Pâques dès février!
Dans le même ordre d'idée, les passants transis, les pieds dans 15 cm de neige, vont bientôt avoir la joie de découvrir la nouvelle collection de maillots de bain pour bronzer l'été prochain à St Barth ou Ste Maxime,
On ne trouve plus un pull bien chaud, mais les adorables débardeurs en jersey de coton sont déjà très tendance.
Et les fournitures de rentrée vont déborder des rayons dès juin. Avant même le départ en vacances, quoi de plus déprimant?

C'est épuisant, cette fuite en avant, moi j'ai le vertige.
Bon sang, nous vivons deux fois plus longtemps que nos récents ancêtres, et nous avons l'impression de ne jamais avoir le temps. Urgent, tout est urgent.
Toujours la peur d'être en retard, d'avoir raté quelque chose, de passer à côté de l'indispensable. Alors on prend de l'avance, on anticipe, et en plus c'est bon pour le commerce.

Pitié, retrouvons le calendrier des fêtes et des saisons, un vrai Noël sans galettes, une Epiphanie où le plus jeune donne les noms sous la table, pendant qu'on lui réserve la part avec la fève....
Est-ce trop demander?

Un fabuleux spectacle de la vie

"La marche de l'empereur" , de Luc Jacquet, est le plus beau film que j'aie jamais vu. L'Antarctique est un continent mythique, il est ici magnifiquement mis en valeur, le décor est somptueux, grandiose. La musique d'Emilie Simon est un miracle d'interaction, de fusion avec la texture même du film. C'est un disque où cette jeune surdouée prouve l'énorme étendue de ses talents.

Une Victoire de la Musique amplement méritée, quand je pense que la version américaine a une autre bande son, les pauvres. Mais, même si le cadre et la musique sont des éléments très importants de ce superbe film, ils ne sont pas pour moi prépondérants. Car ce documentaire explore tous les sentiments, toute la palette des émotions, il fait rire, pleurer, réfléchir... et tout cela sans aucun être humain. Le cri de désespoir du jeune manchot qui n'a pas suivi la caravane, s'est perdu, et va inexorablement mourir dans la solitude glacée.

La douceur, la grâce, la retenue de la découverte amoureuse et de la parade nuptiale,, L'amour des parents, leur détresse devant l'oeuf gelé par une fausse manipulation, le désarroi devant la promesse de vie brisée, Le sacrifice des pères qui couvent seuls puis donnent au nouveau-né leurs dernières réserves,
Le courage des mères qui marchent dans la tempête hivernale chercher la nourriture, et ne voient pas leur petit naître, La terreur de la fuite éperdue devant les dents sans pitié du léopard des neiges, La cruauté des oiseaux qui guettent le jeune manchot étourdi, La solidarité du groupe devant la tempête, quand les manchots se relayent contre le blizzard mortel, ceux de l'extérieur protégeant ceux de l'intérieur, La félicité absolue du jeune manchot qui court seul sur la glace pour la première fois, et revient bien vite se mettre au chaud entre les pattes de sa maman, Et la puissante beauté du cycle de la vie en harmonie avec les saisons et la nature.

Ont-ils besoin de nous? Les publicités pour les croisières en Antarctique me rendent fou : "Mais partez de là, allez polluer ailleurs, n'approchez pas du dernier paradis, le paradis blanc ."
 

L'hautboïste inattendu...Raymond !

Assis dans le métro parisien, je guettai la station Ternes, la plus proche de la salle Pleyel. On  y donnait ce soir-là un concert, et notamment le concerto pour piano de Schumann. J'étais en avance, content.
Le métro est bruyant, mais le son est anonyme et permet à la pensée de vagabonder. En tout cas, rien à voir avec la cacophonie en toux majeure qui règne dans le car affrété par la BBVC de Versailles, la Belle Brochette de Vieux Croûtons. Je ne crois pas qu'elle s'appelle réellement comme cela, mais c'est le surnom évocateur qu'a retenu ma fille.

Après avoir relu cinq fois la même ligne de mon roman, sans en comprendre le sens, j'ai commencé à regarder par dessus le livre.
En face de moi se tenait un pauvre homme. Voici un siècle, son embonpoint l'aurait classé parmi les riches, mais désormais la nourriture salée, sucrée et grasse est l'apanage des classes laborieuses.
J'avais affaire à un cumulard. Gras, certes, à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur. Son visage bouffi luisait, son crâne dégarni renvoyait la lumière crue des néons métropolitains. Une hirsute rangée de cheveux  bien trop longs courait sur le sommet du crâne, comme un filet informe de tennis de table séparant deux surfaces glissantes. Ses vêtements semblaient aussi fatigués que lui. Il tenait machinalement à la main un sac informe, contenant je ne sais quel reste de gamelle et sûrement un bleu de travail usé sur les machines. Je me surpris à la compassion pour Raymond, ce ne pouvait être que Raymond.

Ma contemplation prit fin quand je descendis pour mon concert. J'oubliai bien vite Raymond pour élever mon âme et la préparer à vibrer aux accents magiques de la musique romantique.
Le concerto pour piano de Schumann a ceci de particulier qu'il donne la part belle au hautbois solo, une superbe partition à la mélodie éthérée. J'attendais, ravi, ce moment où mon épiderme se hérisse, mystérieusement excité par les ondes musicales. Raymond était l'hautboïste solo et son instrument m'emmena faire un tour du côté des étoiles.

Voulez-vous danser?

J'ai vu Tanzträume, hier soir dans un petit cinéma de Marly-le-Roi, en version originale allemande sous-titrée.
Ce filme raconte en 90 minutes la préparation d'un spectacle de théâtre dansé par des adolescentes et des adolescents qui n'avaient jamais fait de danse auparavant.
Deux anciennes danseuses vedettes de ce spectacle entraînent les jeunes chaque samedi. Nous assistons à leur progression physique et psychique , ce qui aboutit classiquement à un spectacle final, succès digne de professionnels.
En fait ce film est un hymne à l'adolescence.
Les jeunes arrivent dans cette aventure bruts de fonderie, avec leurs inhibitions, leurs préjugés, leur solitude. On peut presque lire "En travaux" sur leur visage. Les déclarations devant la caméra sont  timides, naïves, quelques confidences nous font entrevoir des fêlures, père décédé dans une explosion, grand-père brûlé en Bosnie.... Les gestes sont gauches, empruntés; pas question, pour commencer, de répéter des scènes contenant des contacts entre filles et garçons.
Et la magie du théâtre et de la danse touche petit à petit tous ces êtres en formation, comme la baguette de Hermione Granger, mais maniée par Pina Bausch... La juxtaposition devient troupe, le mouvement cent fois répété devient grâce, le rire timide devient éclat tonitruant, le rendez-vous du samedi se transforme en joyeuses retrouvailles et embrassades collectives, les anecdotes personnelles racontées en public font hurler de rire ou sourire d'empathie.
La pratique d'une activité artistique est une voie royale pour se construire, pour découvrir de l'intérieur la palette des sentiments les plus nobles de l'humanité. Mais quand cette découverte est une oeuvre collective, une progression commune, la sensation partagée, donnée et reçue, est décuplée.
On ne peut qu'être ému, fortement ému, de voir ces jeunes évoluer autant et de si belle manière en une seule année. Cette aventure, leur aventure, leur a fait franchir à pas de géant ces marais adolescents. Ce ne sont pas des superjeunes, ce sont des adolescents comme les autres. Mais, sûrement, on doit deviner une aura dorée flotter encore autour de leur visage. La pancarte "En travaux" a disparu.

dimanche 12 décembre 2010

10cm de neige !

Dix centimètres de neige ont suffit pour déclencher un de ces épisodes franco-français que les étrangers nous envient. Ils tentent bien de nous imiter, sans jamais nous égaler.
Il faut dire que seuls les français sont capables de laisser tomber toute l'actualité du moment, des élections trahies en Côte d'Ivoire au prix Nobel chinois de la paix enfermé dans son pays, et même oublier un moment les résultats de la ligue 1 pour se consacrer à cette question :
qui est responsable de la pagaille de mercredi et jeudi en Ile de France?

Les Medias prennent de force la France par la main, et alternent avec un savant dosage  les reportages in situ, comme sur ce malheureux qui a fait 450 mètres en 4 heures et les communications politiques.
On a eu droit cette fois-ci à un sans faute!
D'abord, on nie le problème, "non, non , pas de pagaille, pas de
panique, tout est sous contrôle on circule normalement, enfin, mon
hélicoptère est OK".
Ensuite, on cherche un bouc émissaire, la meilleure ici c'est qu'on a osé accuser Météo-France! C'est comme accuser le thermomètre pour la fièvre, l'émissaire pour le message.. Et en plus, Météo France l'avait annoncée , cette neige!
Enfin, on attend que ce soit fini, on remercie le courage et le travail acharné des fonctionnaires, et on met en place une sous-commission pour encore améliorer la prestation pour la prochaine fois.

Au milieu de cette mascarade très orchestrée, j'ai entendu une fois sur les ondes un responsable essayer de dire que, finalement, c'était un peu naturel que la neige tombe en cette saison et que, eh bien, la route risquait d'être risquée, et que eh bien il fallait prendre son mal en patience. Et que, finalement, il n'y avait pas de responsable, sinon notre volonté commune de nier la nature.
Bizarre qu'il n'ait pas été censuré. Il casse le rêve. On ne peut même plus râler tranquillement.

Personnellement, j'ai pris les transports en commun, et quand cela n'a plus été possible, je suis resté chez moi, avec mon PC et mon portable, et j'ai particulièrement bien bossé, au coin du feu. Sauf quand Noun, le chat, voulait taper sur le clavier à ma place.

Un nouveau monde est à construire

Récemment, un taxi marseillais m'emmenait à travers sa cité diverse vers une réunion de travail. Je ne sais plus comment le sujet est venu sur le tapis - il n'en faut pas beaucoup c'est vrai - mais il s'agissait de ce mythe du fameux mur à nos frontières.
La France, Monsieur, elle a tout, elle a tout, elle n'a besoin de rien. La preuve, des dizaines de millions de touristes viennent nous voir chaque année, alors, hein! On a l'agriculture, l'industrie, les services, on n'a pas besoin des autres....
Alors un bon gros mur, on reste entre nous, et on vit sans voir débarquer les fruits espagnols, les plombiers polonais, les jouets chinois, tous ces étrangers à la couleur de peau variable qui viennent manger le pain des français;


C'est comme toujours la peur et l'ignorance qui déclenchent ce genre de réaction. Les murs ont la vie dure. Même si le plus célèbre est tombé en 1989, d'autres apparaissent, l'un entre les USA et le Mexique, l'autre encloisonnant Israël et ses colonies.
Alors pourquoi pas autour du pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité?


Chiche,
Il faudrait rappeler à notre sympathique chauffeur de taxi que dès l'antiquité grecque, les Mycéniens (et aussi les Phocéens, ses ancêtres....) avaient besoin de l'étain des îles Cassitérides pour façonner leurs armes en bronze.... Ces îles, ce sont les Scilly au large de la Cornouaille anglaise...!!
Et que dire de son gagne-pain? Il faudrait rapidement qu'il développe ses jarrets et se transforme en tireur de pousse-pousse ....le pétrole n'est pas naturel chez nous.
Il est incroyable qu'au pays des Lumières  le XXI ème siècle débute avec des obscurantismes qui auraient fait rire les marchands du Moyen-Age, ceux qui traversaient l'Europe et l'Asie pour échanger tout ce qui est utile ou agréable à la vie humaine.


Peur, ignorance, avec en filigrane égoïsme, individualisme, refus de remise en cause, "notre mode de vie n'est pas négociable"....
Or , le statu quo parait difficile, dans un monde où le suivi administratif d'une société européenne est traité la nuit par des techniciens performants de New-Delhi pour un poignée de roupies.
Le mur est le dernier refuge, l'équivalent adulte de la couverture de l'enfant. On sait bien que tant que l'on est caché sous les couvertures, les monstres ne peuvent rien contre nous!
Hélas, la peur n'interdit pas le danger. Il vaut mieux l'affronter.
Nous savons bien que notre mode de vie va changer, que notre niveau de vie va évoluer.....


Un nouveau monde est à construire, et d'abord à imaginer. Si nous restons derrière notre mur, si nous nous raidissons sur nos "acquis", nous serons simplement balayés par le vent de l'histoire, qui ira s'écrire en Asie-Pacifique,
Nous deviendrons l"Extrême Occident", vague entité de consommateurs aigris, rêvant au temps où elle dominait et pillait les 3/4 de la planète.

lundi 6 décembre 2010

Noël...

La crèche était faite d'un papier kraft marron foncé recouvert de petites taches rouges, verts, blanches. Il fallait beaucoup d'adresse pour donner forme au rocher, ménager un creux suffisant pour disposer les sujets.
Les grandes statues de plâtre de Marie et de Joseph agenouillés,  de l'âne et du boeuf à côté de leur mangeoire, étaient bien orientées vers le centre de l'étable, mais il n'y avait rien encore. Visiblement, c'était l'attente.
Jésus dans son berceau, Gaspard, Balthazar et Melchior, un berger et son mouton, patientaient sagement dans le carton rangé dans la chambre des parents.
Ma mère avait pris l'habitude de préparer cette crèche le premier dimanche de l'Avent, dans la chambre que nous partagions avec mon jeune frère. Il fallait débarrasser le dessus d'une commode, et nous savions alors que Noël approchait. Chaque soir, nous nous  retrouvions autour de cette crèche familiale, sans santons, sans fioritures. Ma mère allumait une bougie, éteignait l'éclairage de la pièce, et donnait le signal du chant. Nous chantions tous les trois, toujours la même prière. De mémoire :  "Venez, divin Messie, nous rendre espoir et nous sauver, vous êtes notre vie, venez, venez, venez. O, fils de Dieu, ne tardez pas, par votre corps donnez la joie à notre monde en désarroi. Redites-nous encore de quel amour vous nous aimez, tant d'hommes vous ignorent, venez, venez , venez".
C'était très court, mais ce petit rituel m'a plus marqué que beaucoup d'autres événements, bien plus ambitieux.

Venait alors la longue attente des cadeaux, ou plutôt du cadeau, si je me souviens bien. Je passais un temps infini à rêver sur les quelques catalogues de jeux et jouets qui trônaient dans le salon. J'étais hypnotisé par les panoplies, je passais des jours à comparer celle de Joss Randall avec son fusil à canon scié et celle du chef peau-rouge, dont le parure de plumes descendait jusqu'aux reins. Mais il n'avait qu'un couteau! Que choisir? A bien y réfléchir maintenant, ces heures passées sur les catalogues étaient bien plus fortes et riches que celles où j'avais réellement en main le pistolet ou le sabre en plastique.
L'excitation de la veille aussi, est un souvenir très fort, dans une chambre qui n'avait pas souvent été aérée de la grande maison des grands-parents maternels. Il nous fallait attendre le matin, forcément, que le Père Noël ait eu le temps de passer partout.

Voilà, inutile de s'attendrir sur le passé, sur son passé.
Mais c'est à sa lumière qu'il faut ouvrir les yeux et voir ce qui va se passer pendant les semaines à venir.

D'abord, ce n'est plus le raccourcissement des jours qui annonce les fêtes de la Nativité, c'est le planning des centres commerciaux et des grandes surfaces.
Un grand nettoyage par le vide de toutes les petites structures habituelles, et la grosse machine se met en marche. Elle commence par le visuel, le clinquant, le lumineux. Brillantes guirlandes, imposantes décorations, violents clignotements à faire mal comme les flashes de véhicules de police. Il faut réveiller le consommateur qui aurait la mauvaise idée de sommeiller en nous.
Puis viennent quelques attractions, c'est bien le mot, une immense ourse blanche en peluche berce son ourson à l'intersection de deux allées du Centre, un Père Noël géant et son traîneau volant planent en tournant au-dessus de nos têtes, les rennes qui nous clignent de l'oeil. des centaines de cadeaux brillants suivent et complètent la course dans le ciel de pacotille.
Alors, quand le signal d'attention a bien été envoyé, la grosse machine passe à la vitesse supérieure.
La Corne d'Abondance épanche ses victuailles, elle déborde. Tout-à-coup, des montagnes de foie-gras, fromages tout aussi gras, cochonnailles, saumons industriels fumés, boudins blanc et noir au kilomètre, sortent des hangars où ils étaient consignés et envahissent notre espace. Magazines, affiches, télévision, Internet (où la pub intrusive et sonore résiste à toute contre -attaque),... la croisade de Noël est commencée, et nous serons tous convertis, que nous le voulions ou non.

Les Grands Pourvoyeurs d'Indispensable déballent leurs dernières trouvailles:
-  un petit objet électronique permettant de converser avec ta tribu, même pendant ton sommeil! Il synthétise ta voix, et son intelligence artificielle simule tes réactions.( Il faut reconnaître que synthétiser " Ouais, Ok pour le Starbuck , tchô, tchô" ne va pas très loin.)
- la compilation des faces B des tubes de Sheila et Ringo, obtenue de haute lutte par les Editions Scion après un procès de 20 ans avec Salut Les Copains.
- un applicatif te donnant dans un rayon de 500 mètres les restos ouverts, le prix du menu, et si quelqu'un déclaré comme ennemi dans Face de Bouc s'y trouve (en fait, ça, c'est utile).
- un écran plat de 2000 mm de diagonale, nécessitant 8,8 mètres de recul, et 88 mois de crédit.
- la compilation de tous les films d'avant -garde new-yorkaise des années 70. On y voit en particulier le rarissime "Sleep" en intégralité, alors que certaines scènes ont longtemps été censurées.On peut admirer pendant huit heures d'affilée  le dormeur, même quand il ronfle et se retourne en grognant.
- le jeu vidéo Autodestruct. Les yeux bandés au milieu de ton appartement, tu dois casser devant ta webcam le maximum d'objets en une minute. Le jeu évalue ta performance, et  te permet alors ou non de passer dans le monde suivant. Tu pourras alors commencer à attaquer ton propre corps.
- la montre super pro giga classe que portait Noé, oui Monsieur j'ai des photos, et qui lui a permis de savoir que le Déluge était fini après 40 jours et 40 nuits pas une minute de plus.
- le livre "La bombe atomique pour les nuls",, mais les acheteurs risquent d'être déçus, on reste à A, on n'apprend même pas à faire une bombe H... .....

Rabâchage, martelage, poinçonnage, lavage de cerveau, alors que nous sommes une "foule sentimentale" comme le chante Souchon.
C'est démesuré,honteux, indécent, obscène, alors que les organisations caritatives hurlent la misère croissante...

Mais pourquoi en sommes-nous là? C'est tout simplement la conséquence logique d'un modèle de société en perpétuel déséquilibre, qui doit avancer pour ne pas se casser la figure. Avancer, c'est détruire tout ce qui a été fabriqué l'année d'avant, le transformer en déchet, pour le remplacer par les nouvelles productions des usines du monde...Noël est devenue une occasion de plus dans ce  grand jeu planétaire.

Alors, difficile de se battre? nous sommes perdus d'avance. Mais rien ne nous empêche de faire de la résistance;
Cette année, nous allons affiner le rituel familial. Le repas est simple, toujours le même depuis 15 ans, la moindre tentative de changement est systématiquement contrée aux voix par les enfants. Je vais dans la forêt avec la dernière chercher la mousse pour la crèche, mais c'est l'ainée qui est la seule habilitée à l'installation. Il faut refaire la grotte en papier kraft marron foncé recouvert de petites taches rouges, verts, blanches, et simuler la rivière avec du papier d'alu. Le sapin est toujours grand car il doit supporter la totalité des décorations de tout type qui encombrent la cave pendant toute l'année. En particulier, une petite fille en balançoire, petite porcelaine héritée de ma grand-mère. Avez-vous remarqué comme ces personnages se refusent toujours de se tourner du bon côté? Elle regarde toujours le sapin, jamais la pièce!
Les cadeaux, c'est toujours le lendemain matin. Dans mes souliers, toujours une carotte ou un poireau, les enfants en rient, alors que ceux des autres membres de la famille ont des papillotes avec un pétard. Les enfants (20 à 30 ans maintenant) prennent toujours 15 ans de moins, oui, Noël est vraiment magique. Et nos sourires prennent des rides, mais ils sont si chauds, si doux.
 Un cadeau par personne, mais pas une carte ou un chèque, non, une vraie surprise. Et qu'importe. Nous finissons la matinée autour de la cheminée, avec un chocolat chaud ou un café, à ne rien faire, vraiment rien, et c'est la plus merveilleuse chose que Noël puisse nous apporter. Ne rien faire, ensemble, donner son temps et le recevoir. De temps en temps, Noun change de genoux, pour continuer à se faire caresser. La chatte de la maison aime bien Noël aussi.