
Les grandes statues de plâtre de Marie et de Joseph agenouillés, de l'âne et du boeuf à côté de leur mangeoire, étaient bien orientées vers le centre de l'étable, mais il n'y avait rien encore. Visiblement, c'était l'attente.
Jésus dans son berceau, Gaspard, Balthazar et Melchior, un berger et son mouton, patientaient sagement dans le carton rangé dans la chambre des parents.
Ma mère avait pris l'habitude de préparer cette crèche le premier dimanche de l'Avent, dans la chambre que nous partagions avec mon jeune frère. Il fallait débarrasser le dessus d'une commode, et nous savions alors que Noël approchait. Chaque soir, nous nous retrouvions autour de cette crèche familiale, sans santons, sans fioritures. Ma mère allumait une bougie, éteignait l'éclairage de la pièce, et donnait le signal du chant. Nous chantions tous les trois, toujours la même prière. De mémoire : "Venez, divin Messie, nous rendre espoir et nous sauver, vous êtes notre vie, venez, venez, venez. O, fils de Dieu, ne tardez pas, par votre corps donnez la joie à notre monde en désarroi. Redites-nous encore de quel amour vous nous aimez, tant d'hommes vous ignorent, venez, venez , venez".
C'était très court, mais ce petit rituel m'a plus marqué que beaucoup d'autres événements, bien plus ambitieux.
Venait alors la longue attente des cadeaux, ou plutôt du cadeau, si je me souviens bien. Je passais un temps infini à rêver sur les quelques catalogues de jeux et jouets qui trônaient dans le salon. J'étais hypnotisé par les panoplies, je passais des jours à comparer celle de Joss Randall avec son fusil à canon scié et celle du chef peau-rouge, dont le parure de plumes descendait jusqu'aux reins. Mais il n'avait qu'un couteau! Que choisir? A bien y réfléchir maintenant, ces heures passées sur les catalogues étaient bien plus fortes et riches que celles où j'avais réellement en main le pistolet ou le sabre en plastique.
L'excitation de la veille aussi, est un souvenir très fort, dans une chambre qui n'avait pas souvent été aérée de la grande maison des grands-parents maternels. Il nous fallait attendre le matin, forcément, que le Père Noël ait eu le temps de passer partout.
Voilà, inutile de s'attendrir sur le passé, sur son passé.
Mais c'est à sa lumière qu'il faut ouvrir les yeux et voir ce qui va se passer pendant les semaines à venir.
D'abord, ce n'est plus le raccourcissement des jours qui annonce les fêtes de la Nativité, c'est le planning des centres commerciaux et des grandes surfaces.
Un grand nettoyage par le vide de toutes les petites structures habituelles, et la grosse machine se met en marche. Elle commence par le visuel, le clinquant, le lumineux. Brillantes guirlandes, imposantes décorations, violents clignotements à faire mal comme les flashes de véhicules de police. Il faut réveiller le consommateur qui aurait la mauvaise idée de sommeiller en nous.
Puis viennent quelques attractions, c'est bien le mot, une immense ourse blanche en peluche berce son ourson à l'intersection de deux allées du Centre, un Père Noël géant et son traîneau volant planent en tournant au-dessus de nos têtes, les rennes qui nous clignent de l'oeil. des centaines de cadeaux brillants suivent et complètent la course dans le ciel de pacotille.
Alors, quand le signal d'attention a bien été envoyé, la grosse machine passe à la vitesse supérieure.
La Corne d'Abondance épanche ses victuailles, elle déborde. Tout-à-coup, des montagnes de foie-gras, fromages tout aussi gras, cochonnailles, saumons industriels fumés, boudins blanc et noir au kilomètre, sortent des hangars où ils étaient consignés et envahissent notre espace. Magazines, affiches, télévision, Internet (où la pub intrusive et sonore résiste à toute contre -attaque),... la croisade de Noël est commencée, et nous serons tous convertis, que nous le voulions ou non.
Les Grands Pourvoyeurs d'Indispensable déballent leurs dernières trouvailles:
- un petit objet électronique permettant de converser avec ta tribu, même pendant ton sommeil! Il synthétise ta voix, et son intelligence artificielle simule tes réactions.( Il faut reconnaître que synthétiser " Ouais, Ok pour le Starbuck , tchô, tchô" ne va pas très loin.)
- la compilation des faces B des tubes de Sheila et Ringo, obtenue de haute lutte par les Editions Scion après un procès de 20 ans avec Salut Les Copains.
- un applicatif te donnant dans un rayon de 500 mètres les restos ouverts, le prix du menu, et si quelqu'un déclaré comme ennemi dans Face de Bouc s'y trouve (en fait, ça, c'est utile).
- un écran plat de 2000 mm de diagonale, nécessitant 8,8 mètres de recul, et 88 mois de crédit.
- la compilation de tous les films d'avant -garde new-yorkaise des années 70. On y voit en particulier le rarissime "Sleep" en intégralité, alors que certaines scènes ont longtemps été censurées.On peut admirer pendant huit heures d'affilée le dormeur, même quand il ronfle et se retourne en grognant.
- le jeu vidéo Autodestruct. Les yeux bandés au milieu de ton appartement, tu dois casser devant ta webcam le maximum d'objets en une minute. Le jeu évalue ta performance, et te permet alors ou non de passer dans le monde suivant. Tu pourras alors commencer à attaquer ton propre corps.
- la montre super pro giga classe que portait Noé, oui Monsieur j'ai des photos, et qui lui a permis de savoir que le Déluge était fini après 40 jours et 40 nuits pas une minute de plus.
- le livre "La bombe atomique pour les nuls",, mais les acheteurs risquent d'être déçus, on reste à A, on n'apprend même pas à faire une bombe H... .....
Rabâchage, martelage, poinçonnage, lavage de cerveau, alors que nous sommes une "foule sentimentale" comme le chante Souchon.
C'est démesuré,honteux, indécent, obscène, alors que les organisations caritatives hurlent la misère croissante...
Mais pourquoi en sommes-nous là? C'est tout simplement la conséquence logique d'un modèle de société en perpétuel déséquilibre, qui doit avancer pour ne pas se casser la figure. Avancer, c'est détruire tout ce qui a été fabriqué l'année d'avant, le transformer en déchet, pour le remplacer par les nouvelles productions des usines du monde...Noël est devenue une occasion de plus dans ce grand jeu planétaire.
Alors, difficile de se battre? nous sommes perdus d'avance. Mais rien ne nous empêche de faire de la résistance;
Cette année, nous allons affiner le rituel familial. Le repas est simple, toujours le même depuis 15 ans, la moindre tentative de changement est systématiquement contrée aux voix par les enfants. Je vais dans la forêt avec la dernière chercher la mousse pour la crèche, mais c'est l'ainée qui est la seule habilitée à l'installation. Il faut refaire la grotte en papier kraft marron foncé recouvert de petites taches rouges, verts, blanches, et simuler la rivière avec du papier d'alu. Le sapin est toujours grand car il doit supporter la totalité des décorations de tout type qui encombrent la cave pendant toute l'année. En particulier, une petite fille en balançoire, petite porcelaine héritée de ma grand-mère. Avez-vous remarqué comme ces personnages se refusent toujours de se tourner du bon côté? Elle regarde toujours le sapin, jamais la pièce!
Les cadeaux, c'est toujours le lendemain matin. Dans mes souliers, toujours une carotte ou un poireau, les enfants en rient, alors que ceux des autres membres de la famille ont des papillotes avec un pétard. Les enfants (20 à 30 ans maintenant) prennent toujours 15 ans de moins, oui, Noël est vraiment magique. Et nos sourires prennent des rides, mais ils sont si chauds, si doux. Un cadeau par personne, mais pas une carte ou un chèque, non, une vraie surprise. Et qu'importe. Nous finissons la matinée autour de la cheminée, avec un chocolat chaud ou un café, à ne rien faire, vraiment rien, et c'est la plus merveilleuse chose que Noël puisse nous apporter. Ne rien faire, ensemble, donner son temps et le recevoir. De temps en temps, Noun change de genoux, pour continuer à se faire caresser. La chatte de la maison aime bien Noël aussi.
ben quoi ! T'aimes pas Noël ? C'est vachement sympa Noël pourtant ! (merci quand même de m'avoir cité, même si c'est mon illustre homologue le Roi-Mage)
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