dimanche 17 avril 2011

Secouons-nous les mains

La vie en société peut être regardée comme une série de rites à respecter et de rôles à jouer, qu'il faut apprendre de ses prédécesseurs puis inculquer à ses successeurs. Celles et ceux qui ne respectent pas ces règles mettent rapidement leur environnement mal à l'aise. Qu'il vous suffise d'imaginer, dans un restaurant étoilé, une tablée bruyante se mettre à l'aise en chaussettes et marcels, ou, pire, commander du coca!
Cependant, un secteur où la codification n'est pas d'une rigueur absolue, c'est le salut matinal au sein des entreprises modernes. Ah, la retenue toute simple de nos amis d'outre-Manche, pour qui un rapide haussement de sourcil ou un frémissement de la moustache suffisent amplement.
Mais non, le latin a besoin du contact physique.
La première difficulté réside à la fois dans les horaires variables et les nombreux déplacements, notamment vers la machine à café..
Il est à peu près possible de serrer la main à tous ses collègues de plateau en suivant une logique géographique, quand ils sont tous à leur place.
Il est déjà plus difficile d'avoir un petit mot original pour chacun (le temps, le trafic, l'actualité, on s'épuise vite)
Cela devient terriblement complexe dès que les susdits collègues se déplacent, se retrouvent les uns chez les autres, au café, ou arrivent plus tard...
Et voici le terrible dilemme quotidien: est-il plus vexant d'ignorer un nouvel arrivant en pensant l'avoir déjà salué, ou de tendre sa main vers une autre que l'on a oublié avoir serrée quelques minutes auparavant?
Dans les deux cas, l'interlocuteur prend bien soin de vous montrer combien vous avez mal agi. Que ce n'est pas seulement un geste étourdi, mais bien le symptôme d'un mal plus profond. Chez vous, interviennent en force le désintérêt, l'indifférence, voire le mépris pour autrui, mais aussi l'incapacité à communiquer, le refus du partage. C'est à la limite de la dénonciation aux Ressource Humaines comme une barrière aux valeurs qui font la force de l'entreprise, vous êtes un élément asocial et finalement un trublion dangereux pour l'équilibre de l'ensemble.
Mais nous n'en sommes qu'aux prémices du calvaire matinal. Car nous avons aussi des collègues femmes!
Lors, il faut être doublement à l'affût, car vient s'ajouter le rite du bisou. En plus de tout ce qui a été dit ci-dessus, il est indispensable de se souvenir que c'est la femme qui décide si elle vous autorise à l'embrasser, combien de fois, et par quel côté commencer. A remarquer que ce n'est jamais votre collègue féminine qui pose ses lèvres sur votre joue, mais toujours l'inverse. Ainsi, des joues accueillantes deviennent en quelques minutes un bisoudrome où la moitié de la société peut venir échanger ses microbes. Un bel exemple de convivialité.
Une étape supplémentaire est franchie dans l'horreur quand la hiérarchie s'en mêle. Se rappeler toujours que c'est au supérieur à tendre la main. Il faut attendre, refréner son geste, au risque de se retrouver honteux, la main tendue dans le vide, un sourire niais sur les lèvres. L'époque de l'H1N1 a ainsi permis aux grands chefs hilares de collectionner une bonne tranche de vexations, en ne serrant plus aucune main, et en se payant même le luxe de faire la leçon!
Enfin, je n'ose imaginer quel Golgotha quotidien j'aurais à franchir si j'avais un supérieur hiérarchique féminin! La main dans le vide, soit, mais la bouche en cul-de-poule arrêtée en plein vol? Heureusement, la société française a dû y songer. La preuve, mêmes si les femmes font de meilleures études que les hommes, aucune ne m'a dirigé en 30 ans de carrière (je ne parle pas du domicile), et cela n'en prend pas le chemin. Et dans votre entreprise?

jeudi 7 avril 2011

Bang La Dèche (merci Coluche)

J'ai été frappé par une photographie. C'est un instantané où l'on voit un enfant bengali en haillons, par terre, affolé, levant un bras maigre et dérisoire pour essayer de se protéger du coup de bâton que s'apprête à asséner un représentant de l'ordre du Bangla Desh, Sur la photo, il est impossible à dévisager, ce sbire éternel, dans sa tenue d'ange noir au bras levé, casque, gilet pare-balles, genouillères et bottes cloutées. Quelle honte, me direz-vous!
Oui, mais, la compassion passée, il faut réfléchir. Il faut voir le contexte! Ils y allaient un peu fort, aussi, les jeunes ouvriers bengalis du textile . Oser manifester pour demander une augmentation de salaire. Combien? Ils voulaient passer à 5000 takas (57 euros) par mois! On rêve.
Et comment pourrions-nous continuer à remplir nos armoires de vêtements Gap, Levi-Strauss, H&M, etc, s'il fallait payer leur main d'oeuvre comme la nôtre? Quel intérêt? Et pourquoi pas une couverture sociale, tant que vous y êtes, ou une cotisation pour la retraite? Allez, assez ri, ils ont bien le temps d'y penser à la retraite, ils ont entre 5 et 14 ans. Et à cet âge là, on n'est pas malade.
Finalement, à bien y réfléchir, elle est super bien faite, cette mondialisation. Avant, pour vivre décemment, il fallait avoir autour de soi tous ses esclaves, puis tous ses domestiques. Maintenant, c'est plus simple, moins encombrant, et plus sûr. Nos chaussures, nos vêtements, notre électroménager, nos ordinateurs, etc... tout est fabriqué pour une poignée de riz à l'autre bout de la planète. On peut évaluer à plusieurs dizaines (centaines?) le nombre de chinois, bengalis, philippins, malais, etc... qui, travaillent exclusivement pour chaque occidental. Et si une émeute arrive, nous ne risquons rien! Mieux, on peut même s'offusquer du mauvais traitement subi par ces pauvres exploités! Le système s'est bien amélioré depuis Spartacus, et merci aux policiers locaux de s'occuper du respect de l'ordre, les commandes doivent partir à l'heure.
Allez, au pire, si leur pays bascule à gauche et commence à faire dans le social, hop on passe à un autre, ils sont nombreux à attendre sur la liste... pas de souci!
Et puis quoi, finalement, on peut avoir bonne conscience, oui je dis bien bonne conscience. Qui sait, sans nous, ils cultiveraient encore le riz ou le sorgho derrière le boeuf familial, jusqu'aux genoux dans la boue et les excréments. Alors que l'avenir leur sourit, enfin disons qu'il sourit  déjà à leurs dirigeants. Ils peuvent nous remercier, on s'endette pour leur bien.
De toute façon, qui sommes-nous pour juger avec notre morale chrétienne? Si cela se trouve, le jeune bengali qui se fait frapper sur la photo pense que c'est une étape, peut-être difficile, mais nécessaire, pour progresser dans son karma personnel! Vous voyez bien!
Comme quoi, il faut toujours analyser une photo avant de réagir mal à propos.
Tiens, je vais faire un peu de shopping moi. Je n'ai plus rien à me mettre, je n'ai rien acheté depuis au moins une semaine.