Le futur Napoléon III avait écrit un texte
d’actualité à son époque: « De l’extinction du paupérisme »
(avant de se l’appliquer à lui-même).
Il serait désespéré de voir aujourd’hui ces
malheureuses et malheureux déguenillés errer dans les rues ou le métro. Ah, ils
peuvent bien citer Rimbaud : « Mon unique culotte avait un large
trou ».
En fait, il faudrait déciller les yeux de
Louis-Napoléon: dans la majorité des cas, ce misérabilisme vestimentaire est un
choix délibéré ! Napoléon "le petit" serait encore plus incrédule s’il apprenait que ces
ruines de pantalons sont plus chères que ceux sans-trous.
Quant à moi, je suis toujours attristé par ces
dégradations volontaires. Pas trop d’ailleurs par les messages qu’elles
véhiculent.
Comme message, on peut par exemple penser à:« Vanitas
vanitatum et omnia vanita », vanité des vanités, tout est vanité, tout est
vain, tout passe, tout est éphémère : « Frère, souviens-toi que tu es
poussière et que tu retourneras à la poussière. » C’est un beau message,
pas très dynamisant, mais honnête.
On peut aussi imaginer: « Tu as vu la bête
qui se cache en moi ? J’ai affuté mes griffes en plein émoi, t'as vu l'résultat ?… »
Pourquoi pas, il doit y avoir un public intéressé.
On a aussi : « J’ai pas choisi de
naître, hein, et la vie est courte. Alors, OK, je suis assis à côté de toi,
pauv’ bouffon étiqueté petit costume/petite chemise/petite cravate/petite
serviette, mais moi je ne joue pas à ton petit jeu, je brûle ce que tu adores,
et j’adore ce que tu aimerais brûler. » Ce n’est pas fait pour me déranger
outre mesure. Et je mets très peu de cravates.
Non, ce qui me dérange, ce qui heurte ma
relation à la nature, c’est le geste même de la détérioration :
l’entropie, le temps et la débauche d’énergie mise en jeu pour vieillir ces
jeans à coups de sablage, microbillage, blanchiment, sciage, écorchage,
râpage…autant de processus énergivores, polluants, d’un autre temps.
A l’époque du vegan, du bio, du retour aux
sources, il faudrait que les seuls trous aux jeans soient naturels, qu’ils soient
le résultat de centaines d’heures passées sur des selles rugueuses de cow-boys,
ou sur les mottes d’argile, à genoux devant les poireaux et les potimarrons.
Alors, là, oui : témoins et porteurs d’histoires et de valeurs humaines,
ils mériteraient d’être très chers.