vendredi 27 avril 2018

Accros aux accrocs


Le futur Napoléon III avait écrit un texte d’actualité à son époque: « De l’extinction du paupérisme » (avant de se l’appliquer à lui-même).
Il serait désespéré de voir aujourd’hui ces malheureuses et malheureux déguenillés errer dans les rues ou le métro. Ah, ils peuvent bien citer Rimbaud : « Mon unique culotte avait un large trou ».
En fait, il faudrait déciller les yeux de Louis-Napoléon: dans la majorité des cas, ce misérabilisme vestimentaire est un choix délibéré ! Napoléon "le petit" serait encore plus incrédule s’il apprenait que ces ruines de pantalons sont plus chères que ceux sans-trous.
Quant à moi, je suis toujours attristé par ces dégradations volontaires. Pas trop d’ailleurs par les messages qu’elles véhiculent.
Comme message, on peut par exemple penser à:« Vanitas vanitatum et omnia vanita », vanité des vanités, tout est vanité, tout est vain, tout passe, tout est éphémère : « Frère, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière. » C’est un beau message, pas très dynamisant, mais honnête.
On peut aussi imaginer: « Tu as vu la bête qui se cache en moi ? J’ai affuté mes griffes en plein émoi, t'as vu l'résultat ?… » Pourquoi pas, il doit y avoir un public intéressé.
On a aussi : « J’ai pas choisi de naître, hein, et la vie est courte. Alors, OK, je suis assis à côté de toi, pauv’ bouffon étiqueté petit costume/petite chemise/petite cravate/petite serviette, mais moi je ne joue pas à ton petit jeu, je brûle ce que tu adores, et j’adore ce que tu aimerais brûler. » Ce n’est pas fait pour me déranger outre mesure. Et je mets très peu de cravates.
Non, ce qui me dérange, ce qui heurte ma relation à la nature, c’est le geste même de la détérioration : l’entropie, le temps et la débauche d’énergie mise en jeu pour vieillir ces jeans à coups de sablage, microbillage, blanchiment, sciage, écorchage, râpage…autant de processus énergivores, polluants, d’un autre temps.
A l’époque du vegan, du bio, du retour aux sources, il faudrait que les seuls trous aux jeans soient naturels, qu’ils soient le résultat de centaines d’heures passées sur des selles rugueuses de cow-boys, ou sur les mottes d’argile, à genoux devant les poireaux et les potimarrons. Alors, là, oui : témoins et porteurs d’histoires et de valeurs humaines, ils mériteraient d’être très chers.

dimanche 22 avril 2018

Le pouvoir du Nous


Une publicité a attiré mon regard, récemment, et je me suis arrêté un moment pour en savoir plus.
Après lecture rapide de l’affiche, il s’est avéré que la pub émanait d’un organisme bancaire, participatif ou coopératif.
Le «pouvoir du Nous », c’est juste un slogan, genre l’union fait la force financière.
J’étais un peu déçu, j’avais cru qu’il s’agissait d’un manifeste pour la prévalence de la raison humaine : le Noûs de la philosophie grecque, l’esprit, l’intellect, la raison universelle.
La résurgence d’une des idées force du siècle des Lumières, c’était trop beau.

Je suis reparti en regardant mes chaussures de tennis, et en chantonnant machinalement : « Tous ensemble, tous ensemble, … ».
C’est fou, le pouvoir du nous, c’est fort, le pouvoir du corps,  c’est c.., le pouvoir du on!

jeudi 12 avril 2018

La ligne rouge




Je trouve nauséabonde et indécente cette mise en scène de l’escalade va-t-en-guerre orchestrée par les dirigeants occidentaux bien-pensants, et reprise fidèlement par nos médias impassibles.
Massacre de civils à la bonne bombe incendiaire de chez nous ? Mais oui, pas de problème, M. Assad.
Massacre au chlore? Ah, attention !
Massacre au gaz Sarin? Ah non, Monsieur Assad, non, non, non, vous avez franchi la ligne rouge: il faut savoir massacrer proprement !

La guerre en Syrie a causé la mort de plus de 100 000 civils depuis 2011, cela fait beaucoup de monde dans leur beau jardin du Paradis. On peut imaginer leurs discussions :
 « Eh bien, Adnan, toi aussi tu as succombé sous les bombes du régime alaouite ? »
« Absolument, mon cher Usama, mais moi, j’étais de l’autre côté de la ligne rouge ! Oui Monsieur, moi, c’est le gaz Sarin qui m’a tué ! »
« Ah, Adnan, tu peux en être fier, tu as droit à tout mon respect et à toute mon admiration. Indigne vermisseau que je suis, je reste de mon côté de la ligne, et ne viendrai plus te déranger avec ma mort insipide.»

Et voilà que l'on ose instaurer une hiérarchie de la tuerie, une échelle de l'horreur, une modération de la mort, censée pourtant rendre tous les hommes égaux. Il est vrai que si les morts peuvent modérément apprécier l’attitude des pouvoirs politique et militaire, leur voix porte peu.