mercredi 16 décembre 2015

Tentation ultramarine


- Je te le répète, je le dis comme je le pense, notre pays a besoin d'un pouvoir fort pour se redresser!
- Je suis presque d'accord avec toi, mais ne crois-tu pas que le remède serait pire que le mal?
- Ah oui, tu parles d'un mal: un président flasque, un gouvernement informe qui n'ont pris aucune décision courageuse depuis des années et qui nous enfoncent dans la fange un peu plus chaque jour?
- Mais nous avons la possibilité d'en changer aux prochaines élections, sans tout mettre par terre. Peut-être que le prochain ...
- Tu parles, oui on peut en changer, c'est sûr! Mais c'est comme changer de position quand on a mal au dos: cela ne sert à rien, c'est toute la literie, toute la chambre qu'il faut changer! Tous ces gars-là au pouvoir, c'est bonnet blanc et blanc bonnet, interchangeables dans les urnes, interchangeables dans la médiocrité et l'inefficacité! Non, il faut les renvoyer dos à dos, tout balayer et goûter un sang neuf. Qu'est-ce que tu as à craindre, penses-tu que ça peut être pire que maintenant? Faisons le point, es-tu satisfait de ta situation financière?
- Tu sais très bien que mes revenus n'ont cessé de baisser depuis des années! J'en suis à épuiser mes dernière économies.
- Soit, mais sois rassuré, ce n'est pas le cas pour tous ici: regarde tous les xxxx qui se sont installés et qui s'épanouissent sur notre sol en détournant toutes ses richesses - toutes nos richesses devrai-je dire - , et bien sûr avec la bénédiction de notre gouvernement fantoche et laxiste! Ah, tu peux voter pour yyyy ou zzzz, comme tu veux, mais sache qu'ils ne s'y attaqueront jamais: ils en ont peur; pire, ils en profitent!
Mais sinon, comment va ta famille? Tes enfants ont-ils tous trouvé du travail, ont-ils fondé une famille, vivent-ils heureux et confiants dans l'avenir?
- Allons, tu te moques, tu sais bien que trois sur quatre sont encore à traîner à la maison, sans emploi et désabusés, dangereux à force d'être inactifs!
- Au moins tu es fier de notre patrie, et du rayonnement dû à son rang et à son histoire dans le concert des nations!
- Oui, j'en suis toujours fier, mais il est foulé aux pieds par de plus petits que lui, par des peuples insignifiants au passé de troisième ordre. Notre pays est devenu un nain politique et économique, quelle désillusion!
- Ce n'est pas moi qui te le fais dire. Tu sais, tant que notre vie quotidienne et notre avenir seront entre les mains de cette wwww supranationale qui n'a de cesse de nous rabaisser, je ne vois pas ce qui peut changer, sauf en pire. Enfin quoi, tu vois bien qu'on tourne en rond depuis trop longtemps, il est temps de changer, et de vraiment changer. Et puis crois-moi, n'aie pas de scrupules, nous resterons dans un environnement démocratique! La meilleure preuve, c'est qu'ils suivent scrupuleusement le processus d'élections libres! Si tu n'es pas satisfait, tu pourras toujours changer aux élections suivantes. Mais je suis sûr que tu n'en auras plus envie, une fois que tu auras goûté à la puissance du vrai changement, celui qui te redonnera travail, confiance dans l'avenir, et fierté.
- Tu m'as convaincu! J'étais un peu hésitant, mais c'est décidé: ce 10 janvier 1933, je voterai pour Adolf H.!









mardi 8 décembre 2015

Trauma

Jamais, je n'ai eu autant envie de voir Noël arriver! (pour être tout à fait exact, jamais depuis cette année lointaine et bénie où j'ai reçu le Graal de mes 10 ans, la panoplie de Joss Randall, chasseur de primes au fusil à canon scié).

Les attentats de janvier m'ont bouleversé, nous l'avons tous été. En janvier, j'avais été Charlie, policier, policière, juif. Et puis, j'avais été moi: les assassins avaient éclaboussé de sang une large partie de mon enfance et de mon adolescence. Cabu mérite une statue rien que pour les rires que nous partagions avec mes frères et mon père, notre joie renouvelée de découvrir le Grand Duduche à chaque arrivée de l'hebdo Pilote. A tel point que j'ai fini par ressembler à cet anti-héros grand dépendeur d'andouilles, éternel interne de lycée en blouse blanche rapiécée et secrètement amoureux de la fille du proviseur (blonde à couettes). Jusqu'à mon fils aujourd'hui qui a la même allure et les mêmes lunettes rondes. Les meurtres à Charlie, c'est une plaie béante qui ne cicatrisera pas.

Mais j'avoue que quelque part au fond de moi, je ne me sentais pas directement visé. Aussi horribles que ces assassinats aient pu être, aussi odieuses qu'aient été leurs motivations, les cibles étaient déterminées, l'ennemi était nommé.

Le 13 novembre a changé brutalement la donne. J'ai eu la chance de ne pas avoir peur pour mon fils, c'est lui qui nous a prévenu de ce qui se passait vers 22h, avec un "je suis vivant" au téléphone. Tellement rare, comme coup de fil, que notre première réaction a été du genre "Eh ben on est bien contents de l'apprendre, on se demandait si tu allais répondre à nos SMS, etc..." Quelques secondes de télévision ont suffi à nous mettre un poing dans la figure et une peur rétrospective au ventre: notre fils habite à 200 mètres de "la Belle Equipe", rue de Charonne, mais ce n'est pas cette terrasse qu'il avait choisie ce soir-là pour profiter d'un des derniers beaux jours parisiens avec ses amis. Notre dernière fille était avec nous, et un coup de fil rapide à l'aînée nous rassura sur la sécurité de la proche famille.

C'est peut-être la première fois que je ressens physiquement le danger, que je me sens personnellement pris pour cible, que j'envisage d'être assassiné dans un attentat aveugle. Ou mon épouse. Ou l'un de mes enfants. Glaçante, cette impression de passer du virtuel au réel, de l'esprit à la chair.

Toute la palette des sentiments, avouables ou non, passe depuis dans ma tête, comme dans celle de beaucoup de monde. Quand je lis "même pas peur!", je ne me reconnais pas. Mais bon, il faut bien vivre avec. Nous avons recommencé à aller dans Paris, et c'est avec un soulagement frileux que nous montrons nos sacs et ouvrons nos manteaux aux appariteurs musclés qui n'ont plus à le demander. On les remercie presque de ce zèle.

Alors, quand tout semble se fissurer, quoi de mieux que de s'appuyer sur nos fondamentaux? Nous avons redécouvert combien le french way of life était un art de bien vivre, nous avons été émus en écoutant la Marseillaise, nous avons acheté un drapeau bleu-blanc-rouge, flottant fièrement à notre fenêtre républicaine. Et par dessus tout, nous allons savourer le meilleur moment de l'année. Nous allons entrer dans l'Avent avec ferveur, comme un acte militant! Envie de tout partager, de se retrouver à boire le thé de Noël ou le vin chaud autour du feu de cheminée, de décorer le sapin "encore plus beau que l'an dernier", de déguster le repas familial au rituel parfaitement huilé, de sourire aux cris et ris des enfants découvrant leurs jouets. Envie de revoir tous ensemble Love Actually, The Pôle Express ou la Vie est Belle avec James Stewart... Envie, envie, envie de Noël! Visions de sapins et de vitrines enguirlandées aux dominantes chaudes, vertes et rouges, odeurs de bougies et d'épicéa, saveurs de cannelle et de fruits déguisés, musiques sacrées et petitpapanoëlles... Nous connaissons tout par coeur, et notre coeur s'en emplit encore. Noël, c'est la lumière qui surgit des ténèbres; toute frêle, elle est l'espoir. Elle nous annonce que le chemin est encore loin vers le printemps, mais que nous sommes en route. Ensemble, nous y arriverons. Resserrons-nous, tenons-nous chaud. Tu vois, on est déjà mieux.

Noël, on ne peut pas être plus en rapport avec l'actualité!

PS: je voue aux gémonies les nombreux verbeux télévisuels et radiophoniques qui disent "oui, c'est horrible,..., mais ...". Ceux-là, cassandres à deux balles, viennent vendre leur livre écrit en huit jours, où tout était prédit, sur l'air de "je l'avais bien dit".


jeudi 17 septembre 2015

Il n'y a pas de sot métier ?


- Et toi, qui ne parle pas beaucoup, que faisais-tu dans la vie?"
- Moi, j'étais berger sur les hauts plateaux du Kenya,, j'avais une douzaine de vaches et une trentaine de chèvres dont le lait et les petits me permettaient de faire vivre ma femme et mes trois enfants. L'aîné a pris la suite à ma mort, et s'occupe de sa mère et de sa plus jeune soeur. La cadette a eu de la chance, elle a épousé le fils du chef de notre tribu, ils auront de nombreuses vaches.
J'ai répondu à ta demande, étrangère, aussi je me permets de te poser la même question. A voir la finesse de la paume de tes mains et de la plante de tes pieds, je ne pense pas que tu gardais des chèvres."
- Tu as raison, berger. J'étais mannequin, je mettais des vêtements qui ne m'appartenaient pas et que l'on me prêtait quelques minutes. Je me mettais devant des beaux paysages, ou des décors, ou je marchais devant des gens assis. On me prenait en photo, qu'on distribuait ensuite pour donner envie à ceux qui les voyaient d'acheter ces vêtements... "
- J'ai du mal à comprendre, mais je te plains ; dans mon village, tu serais morte de faim, et nue comme un ver!
(Merci Adriana et Rendez-vous en terre inconnue, un peu arrangé)
On peut imaginer un Paradis où se retrouvent divers métiers peu miscibles tel ce petit exemple, où Adriana était si gênée ...

- Moi j'ai créé une appli bien juteuse sur Internet, Whereiswear. En quelques  clics, elle indique les magasins de vêtements les plus proches de celui ou de celle qui lance l'appli. Elle fait le choix en fonction de sa personnalité, automatiquement connue en scannant le contenu complet de son portable. Ce choix est orienté vers les vendeurs les plus pertinents, les conseils les plus judicieux. Une fois le vêtement choisi, ne surtout pas l'acheter, il suffit de le prendre en photo, et mon appli trouve le site le moins cher et passe même la commande...."
- Tu m'avais l'air de bien te débrouiller, bravo. Moi, j'étais modiste, je confectionnais toutes sortes de chapeaux, en paille de Panama, en feutre de laine tyrolienne, en coton, en cuir, en raphia, pour toutes les têtes, composition Belle-Poule pour une soirée à Versailles, ou petit bibi pour sortie en amoureux.... J'étais plutôt douée, ma petite boutique ne désemplissait pas, mais je n'ai pas compris pourquoi, je vendais de moins en moins, j'ai dû fermer, je ne m'en suis pas remise."
- Je sais bien, je suis au courant. Mais ne t'en fais pas, j'ai supprimé tous les liens vers ta boutique."

- Moi, j'étais quant."
- Quoi?"
- Quant quoi! Tu ne connais pas? Cela veut dire mathématicien financier. Je m'étais spécialisé dans la modélisation de l'évolution des marchés financiers juste après l'annonce d'un plan social. J'étais un crack à moi tout seul, probabilités, actualisation, calcul différentiel, je faisais gagner beaucoup d'argent à mes employeurs en quelques millisecondes. Ils me faisaient tous un pont d'or, et j'en changeais tout le temps;"
- Je ne te comprends pas, tu parles trop vite, et tes mots n'ont pas de sens pour moi, sauf argent, or et pont. Un pont en or, tu es sûr? Il ne devait pas être très solide! Moi, j'étais tailleur de pierres, pour que la plus belle des cathédrales dure des siècles! J'ai eu plusieurs maîtres, mais un seul chantier, la cathédrale de Reims pendant quarante années. De mon compagnonnage à ma mort, j'ai gravi tous les échelons, et ma marque est sur moult pierres pour qui sait regarder. Je savais comprendre le langage des pierres, car elles me parlaient, sais-tu! Un langage beaucoup plus subtil que le bois, il fallait apprivoiser chaque roche et trouver son fil, l'endroit où appliquer le ciseau et dégager d'un coup sec les plus belles pierres, dignes des voûtes d'arêtes, des arcs-boutants, des culées, des pinacles. "
- Quarante ans au même endroit, à faire la même chose, j'en serais mort d'ennui."
- Certainement, mon bien énervé, Mais, finalement, que reste-t-il de tes millisecondes mises bout-à-bout?

A la lecture de ce petit texte mezzopolémiste, d'aucun(e)s vont s'imaginer que je suis un fieffé passéiste. Que nenni! J'adore de nombreuses facettes de notre présent, qui ont permis à de nouveaux métiers d'émerger: infographiste, musicien électro, scénariste de séries cultes, créateur de rallonges pour selfies (j'arrête, je redérive).