vendredi 10 février 2017

Tempus fugit: carpe secundam


"Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite,
le bonheur est dans le pré, cours-y vite, il va filer."
En quelques mots tout simples, le poète n'a pas son pareil pour décrire l'impermanent, l'éphémère, le fugace.
Eh oui, il ne faut pas attendre de lendemains qui chantent ou qui scintillent. Plutôt se mettre en alerte, et engranger au fil des jours ces petits éclairs de joie inattendus, ces petits moments de bonheur inopinés, surgissant sans prévenir et disparaissant aussitôt. Ils laissent un instant dans l'âme douceur et velouté. L'Harmonie soulève un pan de sa robe dorée, et son divin écho persiste dans les têtes comme la lumière vive imprime la rétine.
   Ainsi, je suis sensible au chant des oiseaux, mais pas de tous les oiseaux! Pies, corbeaux, corneilles encrassent notre bande son, et règnent en prédateurs ailés dans les sous-bois franciliens. Je veux juste parler des gazouillants "tchîîîp" de nos virevoltants passereaux, incapables de tenir plus d'une seconde sur leur branche, sautillant à l’envi sur le sol des jardins parisiens, ivres de soleil quand le printemps les effleure. Leur piaillement impromptu me réveille et me ravit.
   Souvenir de mon enfance et des virées automobiles en famille, je suis toujours ému lorsqu'au détour d'une route de campagne, le clocher du prochain village apparaît au loin, exactement dans l'alignement de la route. Pas de grand Architecte, non, mais un arrangement parfait de l'espace et du temps, qui, dans un même élan, nous guide et nous élève.

   Quel souvenir ancien peut-il bien autant me remuer, quand ma voiture esseulée roule à la nuit noire sur une route non éclairée? Le pinceau des phares comme seule lumière, comme seul lien avec le monde, une réminiscence d’ « Empire of Light », le surprenant tableau de Magritte. Génial en forêt.

    La nuit encore, toujours bien sombre (ami psychanalyste, qu’en penses-tu?), quand passe par hasard un train, tortillard de banlieue ou TGV au long cours, mais surtout pas trop près. On ne doit voir que l’intérieur éclairé, un tube lumineux qui laisse deviner quelques passagers, et les emporte en quelques secondes vers leur destin au loin.

    J’adore aussi, au matin blême, longer une grande bâtisse encore dans les songes, lourde masse sombre et austère d’un ancien monastère ou d’un terne internat. Une seule ampoule, un seul point lumineux, première minuscule victoire contre la nuit ! J’imagine une cafetière sifflant sur un poêle Godin, et un gardien mal réveillé tendant ses mains pour les réchauffer…

    Sans crier gare, le geste machinal et parfait que fera une femme pour ramener dans le rang une mèche de cheveux indocile, enlever un gant doigt après doigt  prendre son sac à mains sans y penser, tendre la main vers son enfant… Inutile d’être en embuscade, l’attente détruit le sortilège.

Petite liste rapide, mais vous en avez d’autres, en tout cas je l’espère pour vous. Ce sont autant de « carpe diem, carpe minutam, que dis-je : carpe secundam » qui égaient le quotidien de tout-un-chacun, même s’ils durent encore moins que ce que vivent les roses, …

Faut-il encore lever les yeux.