jeudi 30 avril 2020

Déconfit-né


Après 42 années de plus ou moins bons mais toujours loyaux services, je me suis mis en retrait de la vie active, comptant sur les générations à venir pour subvenir à mon existence.
Par extraordinaire, ce passage dans la case « retraité » a eu lieu en plein confinement.
Vous dire combien j’étais heureux de cet improbable concours de circonstances. Mon côté ours / reptile / thalamique a rapidement vu tout l’avantage qu’il pouvait tirer de cette originale situation. Moi qui avais de plus en plus souffert ces derniers temps des rendez-vous à honorer, des trains et des vols à ne pas manquer, des délais à respecter, quelle joie !
Mais attention, il ne faut pas croire que ce soit chez moi comme au sein de l’abbaye de Thélème chère à François Rabelais et dont la devise était « Fais ce que voudras ». Je me suis confectionné (avec accord de mon gouvernement) un emploi du temps certes souple, mais qui donne une structure de base à mes longues journées d’inactif. S’y mêlent soins personnels « naturels et nécessaires », travaux domestiques et administratifs, gestion attentionnée du jardin, occupations culturelles livresques, musicales ou télévisuelles, sans oublier le plaisir sans fin de l’écriture. Quelques coups de téléphone, SMS ou FaceTime (qui permet à mon petit-fils de toujours me battre, quel que soit le jeu choisi !). Et voilà de quoi satisfaire à mon bonheur.
Or qu’apprends-je ? J’y goûte à peine, et l’on voudrait déjà me replonger dans le maëlstrom de la vie d’avant ! Je suis pris de court.
Alors que je n’ai pas encore terminé la lecture des Essais de Lucky Luke ? Alors que je n’ai même pas entamé la re-vision des 5 saisons d’Ally McBeal ? Alors que je viens juste de terminer le prologue de mon livre débuté voici 4 ans ? Alors que je n’ai pas encore profité de ces moments magiques, où je n’attends rien, ne prévois rien, ne désire rien. C’est tellement nouveau pour moi, cette dernière sensation, moi qui étais toujours programmé pour me projeter vers tel objectif indispensable, telle échéance incontournable, tel avenir lumineux. Chaque fois que je m’arrêtais quelques minutes, assis sur un canapé ou une chaise longue, ma mauvaise conscience venait tout de suite me tenir compagnie : « Mais que fais-tu là ? Es-tu certain que tu n’as pas mieux à faire, quelque chose en retard, quelque chose d’important ? ».
Oui, j’ai encore du chemin, mais je veux réussir à savourer le rien. C’est dur, après le conditionnement de toute une vie. Alors, si ce confinement dure encore un peu, j’y arriverai ! 
S’il-vous-plaît, déconfinons, soit, mais vraiment très très progressivement. Et franchement, si l’on se rend compte que la situation se détériore un tant soit peu, hop, sursoyons. 

lundi 20 avril 2020

Green Brother is watching you

Les milliers de visages des Coquelicots - un projet photo! - Nous ...Bien plus fort qu'un petit caillou mal placé dans la vessie et qui peut détériorer la santé d'un être humain, le Covid-19, bien plus petit, réussit à dégrader la santé de l'humanité toute entière. Petit assemblage de molécules, grands résultats. 
Il est bien dommage d'avoir dû passer par la dureté de cette pandémie pour se voir rappeler les bases fondamentales de notre vie : les désirs naturels et nécessaires !
Pouvoir manger et boire quand on a faim et soif, pouvoir se vêtir et se loger pour se protéger du froid, avoir des amis et philosopher, voilà ce qui suffit au bonheur épicurien. Eh oui, pas d'agapes, pas d'orgies au programme, comme l'usage de ce vocable dans la vie courante le laisserait supposer. 
Alors, dans l'huis clos de mon appartement, je me rends compte que j'ai accès à tous les ingrédients d'une vie heureuse, et le temps pour les valoriser. Seules les embrassades avec mes amis ou mes enfants peuvent manquer, mais les technologies modernes pallient en partie la distance, l'éloignement. 
Depuis le début du confinement, j'ai une pensée qui me réjouit: peut-être qu'en ce moment, je consomme moins que la part des ressources dee la planète qui m'est dévolue ! Quel bonheur de ne plus avoir la honte du pilleur.
Mon véhicule dort oublié au garage, le chauffage domestique est proche de zéro, mes déplacements en Europe sont annulés, mes seuls achats depuis un mois concernent la nourriture, fruits, légumes .... 
Bien sûr, cela ne durera pas indéfiniment, et nous replongerons dans un bel activisme civique, pour que le monde rattrape son insatiable avidité, son hystérie collective et sa pollution un instant réduite.
Ou bien... Allez, il est encore temps de rêver. En cette période où notre santé passera par un suivi à la culotte de nos déplacements, éternuements, etc..., je propose d'aller encore un peu plus loin. 
Je pense que cette chance qui a été donnée bien malgré nous à la Nature doit venir s'ancrer dans un nouveau mode de vie.
Chaque être humain sera doté d'un Ange Gardien Nature. Je ne m'intéresse pas à la technologie associée, mais au résultat : ce nouvel assistant analysera tous nos faits et gestes au regard de notre consommation. Et nous avertira dès que l'on dépassera la part qui nous est dévolue. Et si la femme ou l'homme concerné passe outre aux avertissements, notre AGN aura également à sa disposition des moyens de coercition : la voiture ne démarre plus, la nourriture transformée sous plastique et non bio disparaît du frigo, tout comme les billets pour Courchevel, le Taj Mahal, le Fuji-Yama ou Machu Picchu. La température de l'appartement diminue, etc ... C'est contraire au premier amendement, diraient les états-uniens, dont "le mode de vie n'est pas négociable"... Eh bien oui. Mais comment faire confiance à l'humanité ? A quoi serviraient les radars au bord des routes sans la sanction de la contravention? Rien de tel qu'un contrôle bien senti. Green Brother is watching you... and acting on you.
Et au fait, il n'est pas question d'acheter sa part de consommation non utilisée à un malien, un bengali ou un ouïghour, l'humanité ne doit pas avancer vers l'avenir dans un train à plusieurs classes.