Après 42 années de plus ou moins bons mais toujours loyaux
services, je me suis mis en retrait de la vie active, comptant sur les générations à venir pour subvenir à mon existence.
Par extraordinaire, ce passage dans la case
« retraité » a eu lieu en plein confinement.
Vous dire combien j’étais heureux de cet improbable concours
de circonstances. Mon côté ours / reptile / thalamique a rapidement vu tout
l’avantage qu’il pouvait tirer de cette originale situation. Moi qui avais de
plus en plus souffert ces derniers temps des rendez-vous à honorer, des trains
et des vols à ne pas manquer, des délais à respecter, quelle joie !
Mais
attention, il ne faut pas croire que ce soit chez moi comme au sein de l’abbaye de
Thélème chère à François Rabelais et dont la devise était « Fais ce que voudras ». Je me suis confectionné (avec accord de mon gouvernement) un
emploi du temps certes souple, mais qui donne une structure de base à mes
longues journées d’inactif. S’y mêlent soins personnels « naturels et
nécessaires », travaux domestiques et administratifs, gestion attentionnée
du jardin, occupations culturelles livresques, musicales ou télévisuelles, sans
oublier le plaisir sans fin de l’écriture. Quelques coups de téléphone, SMS ou
FaceTime (qui permet à mon petit-fils de toujours me battre, quel que soit le
jeu choisi !). Et voilà de quoi satisfaire à mon bonheur.
Or qu’apprends-je ? J’y goûte à peine, et l’on voudrait
déjà me replonger dans le maëlstrom de la vie d’avant ! Je suis pris de court.
Alors que je n’ai pas encore terminé la lecture des
Essais de Lucky Luke ? Alors que je n’ai même pas entamé la re-vision des 5
saisons d’Ally McBeal ? Alors que je viens juste de terminer le prologue de mon
livre débuté voici 4 ans ? Alors que je n’ai pas encore profité de ces moments
magiques, où je n’attends rien, ne prévois rien, ne désire rien. C’est
tellement nouveau pour moi, cette dernière sensation, moi qui étais toujours programmé
pour me projeter vers tel objectif indispensable, telle échéance
incontournable, tel avenir lumineux. Chaque fois que je m’arrêtais quelques
minutes, assis sur un canapé ou une chaise longue, ma mauvaise conscience
venait tout de suite me tenir compagnie : « Mais que fais-tu
là ? Es-tu certain que tu n’as pas mieux à faire, quelque chose en retard,
quelque chose d’important ? ».
Oui, j’ai encore du chemin, mais je veux réussir à savourer
le rien. C’est dur, après le conditionnement de toute une vie. Alors, si ce
confinement dure encore un peu, j’y arriverai !
S’il-vous-plaît, déconfinons, soit, mais vraiment très très
progressivement. Et franchement, si l’on se rend compte que la situation se
détériore un tant soit peu, hop, sursoyons.