mardi 23 avril 2013

N ou M, Haine ou Aime

Qui se souvient de Marcellin Tournillard? Personne, et c'est bien dommage!
Car cet homme du XIXème siècle, est un bel exemple du génie français.

Bon citoyen, bon mari et bon père, cet éleveur de chèvres est né et décédé à Poulaines-sur-Fouzon, dans le Berry. Son exploitation se trouvait à mi-chemin entre Valençay et Selles-sur-Cher, et il était désespéré de voir sa production fromagère caprine ignorée au profit de ses réputées voisines. Aussi a-t-il passé toute sa vie et toute sa fortune à imaginer, réaliser puis promouvoir  un fromage nouveau, concurrent de la fameuse pyramide de Valençay. Le fruit de son imagination était un chèvre frais, cendré, de forme rhomboïdale: une pyramide, oui, mais à deux pentes! Après bien des déboires, et, il faut le dire, grâce à des dépenses somptuaires, le Maître Fromager eut vers la fin de sa vie l'honneur de présenter son oeuvre auprès de Madame la Sous-Préfète. Hélas, l'épouse du haut fonctionnaire se cassa une dent lors de la dégustation. Ce n'est pas seulement un morceau d'émail qui tomba sur le parquet ce jour-là, mais aussi la raison de vivre de Marcellin Tournillard, qui suivit de peu son rêve dans la tombe.
Introduction un peu longue pour dire combien je suis régulièrement stupéfait par mes congénères. Nombre d'entre eux en effet sont capables de se passionner au-delà du raisonnable pour des causes, qui me semblent anecdotiques, futiles, marginales. Mieux, l'instinct grégaire les pousse souvent à se regrouper pour se conforter, se renforcer dans leur idée fixe.

Comme dans l'exemple de notre Marcellin,, les sujets sont souvent inoffensifs. On peut citer ainsi l'Amicale Franc-Comtoise pour la Réintroduction du Verre de Lait Fermier à 10 heures dans les Ecoles Communales, la Confrérie Nordiste des Adorateurs du Maroilles trempé dans le Café Noir, le Club Fringant de la Vaillante Lavallière,qui combat la suprématie de la cravate. J'ai eu également vent de l'Association Cynophile de la Ferté - Paquet, dont le slogan était :"Offrons un réverbère à nos amis les chiens", et du Mouvement Féministe pour l'Extinction du Marcel, qui, renseignements pris, ne s'attaque pas à certains mâles, mais à des sous-vêtements. Plus fumeuse, l'Union Sacrée Antiboise des Antis se réunit une fois par semaine, avec comme objectif de ne parler ni de sport, ni de voitures, ni de politique, ni de religion, ni de quoi que ce soit sous la ceinture, et de n'absorber ni nourriture, ni alcool, ni tabac, ni substance interdite. L'unique inscrite ne désespère pas d'accueillir un jour un(e) autre passionné'e).
Aussi, c'est avec beaucoup de perplexité et d'inquiétude que je vois déferler les troupes de l'Escadron du Réarmement Moral,  les divisions de l'Armée Extrémiste du Salut Formaté, les légions de la  Formation pour l'Amour du Prochain (Oui mais pas n'importe quel Prochain), la foule des Encartés de la Famille Nerveuse. Comment peut-on se mobiliser à ce point contre la loi sur le mariage pour tous qui , - d'application volontaire- , apporte beaucoup à certains sans rien enlever aux autres? J'ai souvent cru que l'ignorance alimentait la haine pour faire ensemble le lit de l'extrême-droite, des fanatiques ou des intégristes de tout bord. Mais force m'est de constater ici que la haine de l'autre est l'unique moteur de cette horde aux couleurs pastel Cyrillus. Cette armada propre-sur-elle me fait penser au tombeau des pharisiens, blanchi à la chaux à l'extérieur, mais empli de pourriture à l'intérieur.
S'il existe un péché, c'est bien l'intolérance, péché contre Dieu si l'on y croit, mais surtout péché contre les hommes. L'intolérance n'a pas d'excuse, surtout quand elle exhude de peaux roses et proprettes et se mêle aux  fragrances de Chanel et de Lacoste.
Mais au fait, ce sont mes voisines et mes voisins! Un jour, je les trouverai cachés derrière leur fenêtre, snipers et snipeuses embusqués décidés à faire place nette, et ... je serai peut-être leur cible. N'ai-je pas déserté l'église de la paroisse depuis de nombreuses années? N'ai-je pas boudé la dernière
réunion de copropriété? Pire, n'ai-je pas peint mes volets en rose? "Un papa, une maman, et un très beau 22 long riffle!"

dimanche 21 avril 2013

Le beau geste

Je suis à la recherche du beau geste.
J'ai toujours admiré la classe naturelle, par exemple celle de Katherine Hepburn avec son fume-cigarette, ou celle d'Errol Flynn, descendant de son yacht à Monaco en 1950.
Mais hélas, j'ai toujours su que j'étais un empoté.
        Quand je suis devant la porte de mon immeuble avec tous mes sacs de course alimentaire à la main, en bandoulière, etc...je les pose près de l'entrée pour trouver la fichue clé qui va enfin me permettre d'entrer. Pendant que je me contorsionne, un des sacs s'amuse toujours à verser son contenu sur le carrelage, mêlant joyeusement poireaux, yaourts et cuisses de poulet... Classe!
        Quand par chance je suis assis dans le bus ou le métro, et qu'un élan moral insoupçonné me pousse à proposer ma place à une personne plus âgée, ou à une future maman, je suis la plupart du temps stoppé net dans mon bel élan, par un "merci, je descends à la prochaine", et je retombe maladroitement sur mon strapontin qui s'était vicieusement refermé dans l'intervalle. Classe!
        Quand le destin, de mauvais poil,s'abat avec rage sur ma pauvre tête, et que, hélas, je me retrouve à faire des courses à Parly 2 le samedi, les paquets d'indispensables achats s'accumulent rapidement dans une de mes mains, alors que mes vêtements toujours trop lourds s'amoncèlent dans l'autre. J'oublie à chaque fois combien il y fait chaud!. C'est toujours le moment choisi par ma carte bancaire mutine pour disparaître dans une poche insoupçonnée. Ainsi, devant l'oeil aimable et accueillant de la caissière du grand magasin, j'étale mon fardeau où je peux, et je deviens mon propre kleptomane fouillant l'un après l'autre les recoins de toutes mes pelures. Le tout dans une atmosphère très gaie, rehaussée par les encouragements enjoués de mon épouse. Classe!
        Quand, par esprit de contradiction, je décide que c'est mondayware, quand je ne me rase pas le matin (ça ne se voit pas beaucoup),quand je ne mets pas de cravate,quand je choisis ma tenue plutôt chez Dockers fatigué que chez Hugo Boss amidonné, alors je suis sûr de passer une minute dans l'ascenseur en tête à tête super cool avec le chef du chef de mon chef en visite exceptionnelle. Classe!
        Quand je veux jeter discrètement un petit sac poubelle en ville, je ne trouve jamais le récipient adéquat et j'erre des heures mon trophée à la main. 

        Quand, au déjeuner, je pose ma veste sur le dossier de la chaise et ma serviette sur les genoux, une âme charitable les ramasse bientôt et me les tend  avec un petit sourire.
        Quand un taxi me dépose en urgence, c'est toujours près d'une flaque d'eau boueuse,
        Quand une roulette est détériorée dans la soute à bagages, c'est à ma valise qu'elle appartient.
        Quand......J'arrête, vous avez compris mon triste sort, ma sombre malédiction, ma lourde croix.        
         Je n'ai même pas l'excuse de la génétique, mes parents et mes enfants ont échappé à ce travers fâcheux, me laissant seul face à mon tourment.
Etre averti du problème, c'est normalement avoir fait la moitié du chemin vers la solution! Mais non, je vaux deux empotés, c'est tout.
Voilà, je termine cette tragique confession par un conseil pratique: n'ayez pas peur, ce n'est pas contagieux; mais pour votre tranquillité, restez à plus de deux mètres, c'est mon rayon d'actions moyen, je ne réponds de rien en-deçà.

dimanche 7 avril 2013

Corps hanté

  Je ne sais pas vous, mais j'ai très souvent l'impression de hanter mon corps (comme dirait André Breton), d'être caché derrière celui qui bouge et qui parle sur le devant de la scène.
Et au bout du compte, je ne sais plus trop qui je suis. Comme le chantent les Who " Don't pretend to know me, 'cause I don't even know myself".
Alors qui est "moi"? Dès le matin, et principalement pendant le rasage et le lavage de dents, arrive régulièrement la première question existentielle. "Mais bon sang, c'est qui ce type fatigué dans la glace? Serait-ce moi?"
J'ai une technique imparable. La myopie est une chance, et j'ai le plaisir de tout voit trouble dans le miroir. Une esquive direz-vous, une reculade ! J'en conviens, mais le matin, je ne me sens pas de taille à m'affronter.
Il est vrai que les questions posées devant les miroirs réels ne sont rien comparées aux tourments permanents des miroirs virtuels que nous renvoient les autres, tous les autres.
Jeu de rôles, La toilette accomplie, la tenue du parfait cadre vient recouvrir un corps que l'on tente péniblement de maintenir en état. Et c'est parti pour le grand jeu.
En fait, pas tout de suite. Je m'accorde une parenthèse pendant les trajets en Twingo, où la musique est omniprésente. Je me perds, je m'oublie, je joue relâche. Aucune réflexion, aucune méditation profonde sur moi-même, juste le plaisir de vibrer comme un noeud de cordes vitales mises en mouvement par la musique.
Vient cependant le moment de m'extirper de ce cocon de bien -être.
Heureusement, l'homme est un animal machinal, on dit bien que l'habitude est une seconde nature. Aussi, je suis rapidement aspiré par des considérations pratiques qui absorbent mon énergie et captent mon attention sur des sujets fondamentaux, forcément fondamentaux.  Et là, paradoxe. Quand je travaille seul, c'est plutôt facile de ne pas se dédoubler, de se concentrer dans la première case frontale du cerveau. Les calculs techniques, la syntaxe des phrases dans les mails, la réflexion sur certaines options à prendre, la manière de contenter le phénomène sournois (la faim) dès son approche, tout cela occupe le terrain.
Je me rends compte ainsi que je recherche toutes les activités qui bloquent la réflexion, qui empêchent la dangereuse recherche du moi. Les courses, la cuisine, la natation, la régate, la musique, la danse, tout ce qui occupe la place. Attention à la marche en plein air, au vélo, pas assez prenants, l'esprit vagabonde, pas bon.
Mais l'homme est aussi un animal social, il faut en passer par là pour se définir. C'est plutôt dans les contacts directs, dans les dialogues qu'il est vraiment difficile de se tenir. Combien de fois, au cours d'une conversation, ma pensée s'envole-t-elle? Mon moi s'éloigne de quelques mètres et me glisse à l'oreille: "Est-ce que tu crois qu'il se rend compte?"  Il a l'air tellement impliqué, absorbé par ce qu'il dit, heureusement qu'il ne voit pas que je l'écoute distraitement. Parfois, je ressens tellement le décalage entre mon attitude et mes pensées que mon malaise doit être apparent. Il ne peut pas ne pas le voir! Mais non, il continue, imperturbable, sérieux comme un pape, comme si de rien n'était... Alors, je me demande si son moi à lui n'est pas aussi à rigoler avec le mien, en nous regardant tous les deux bouger comme des adultes professionnels et responsables. Mais je n'en suis pas sûr.  
Serais-je le seul à souffrir de ce dédoublement? Je me donne l'impression d'être un éternel bizuth, de n'avoir jamais pris au sérieux mon entrée dans la vie active. Je me vois toujours en tongues, T-shirt et bermuda, avec de vrais problèmes: le bouton sur le nez aura-t-il séché avant la prochaine boum? le dernier Deep Purple est-il aussi bon que "In Rock"? le vent va-t-il tomber avant la fin de la régate? Le pire, c'est que je pense que les questions de maintenant sont fondamentalement moins importantes: un adulte a tellement moins d'imagination.
Voilà, j'erre, balloté, remorqué comme un ballon d'enfant accroché à mon corps, avec parfois un regard d'envie pour ces humains qui sont tout à ce qu'ils font, les pieds ancrés dans leurs certitudes, les idées bien rangées dans un cerveau qui sent bon l'aération et la javel. Certains battent en ce moment le pavé contre le mariage à venir de personnes qu'ils ne connaissent pas, et qu'ils ne connaîtront certainement jamais.
Bon, dans ces conditions, je préfère encore mes incertitudes, ou plutôt ma seule certitude, celle de ne jamais me connaître. "Connais-toi toi-même" insiste Socrate, Il a raison, c'est bien difficile. Mais est-ce si grave de ne pas y arriver?
Finalement, seul mon chat me connaît bien, et je ne peux pas me cacher quand son regard froid se tourne vers moi, quand ses pupilles verticales se dilatent et envahissent tout l'espace de ses yeux: je suis l'esclave qui prépare le dîner pour 19 heures, (pas 19h 05) et qui ouvre et ferme la fenêtre vers le jardin, à la demande: on n'est jamais aussi bien défini que par ses actes.