lundi 5 novembre 2012

Est-ce clair, esclave?

"C'est dur à admettre, maître." (Hommage à René Goscinny).
Nietzsche distingue deux catégories d'individus: d'une part les Esclaves, et d'autre part, non pas les maîtres, mais ceux qui disposent de leur temps en toute liberté.
Je suis donc un esclave, un esclave qui a tout son confort, mais un esclave quand même.
Cela me fait penser à cette affiche manuscrite apposée vers 11 heures du matin sur la porte fermée d'un garage de Naples: "Ayant suffisamment gagné ma vie aujourd'hui, je suis parti à la pêche". Quelle leçon. Et quel sujet de réflexion. Il faudrait d'abord creuser la notion de "suffisamment". Ce garagiste pragmatique a certainement de quoi se loger, se nourrir, se vêtir. se soigner. Il peut aussi entretenir une barque et un équipement de pêche. Au-delà, nous ne sommes plus très sûrs. A-t-il un I-phone, une télé à LED, des polos Ralph Lauren, une carte Gold, une Audi TT?
Ho, halte là, à quoi ça sert ce genre de réflexion de bobo parisien, on dirait une vieille resucée des "Babas cadres"?! La vraie question, c'est: est-ce que je peux personnellement quitter les rangs des esclaves? Soit, jouons le jeu franchement.
Surtout que l'homme libre existe, je l'ai rencontré! Semaine dernière, je revenais d'un déplacement très glamour en province (Mulhouse), et j'attendais ma valise à Orly avec la patience et l'allure d'une huître crétoise attendant la marée. Un bon ami de promo, pas vu depuis bien longtemps, me tira alors de ma douce torpeur. En transit depuis Montpellier, il partait un mois et demi visiter l'Australie, car, comme il tenait à le préciser, il n'y avait été "que deux fois". Et là, j'ai repensé à Nietzsche. Pilote de ligne long courrier à mi-temps (et non pas moyen-courrier à plein temps), il avait à la fois le temps libre, ainsi que les idées et les fonds pour l'occuper.
Fort de cet exemple, allons-y. D'abord, il faut regagner le temps libre.
"Cher chef, tant pis si vous acceptez d'être l'esclave de votre SmartPhone, de votre messagerie instantanée, de vos clients, de votre DG, voire de votre sens du devoir,..moi, je ne tiens plus à
l'être. Par conséquent, je sollicite officiellement de ne plus venir travailler que 2 jours sur 5. Je veux envoyer balader tous ces maillons de la chaîne qui m'entravent et empêchent mon vrai moi de s'épanouir au grand jour. Alors merci de me payer les 2/5 de mon salaire, et moi je ferai bien sûr uniquement les 2/5 de mon travail actuel."
Bon, pas gagné d'avance, mais supposons! Il faut maintenant vivre avec beaucoup moins d'argent qu'avant.
C'est mal parti. Déjà, les remboursements de l'emprunt pour la maison dépassent ce qui reste.
Qu'à cela ne tienne! Je peux vendre, habiter une yourte sans électricité, faire pousser mes rutabagas, remplacer la Twingo par le RER, m'habiller dans les dépôts-ventes, bref, explorer toutes les
pistes des modernes objecteurs de croissance.
La liberté est à ce prix, mais suis-je prêt à le payer? A vivre comme Diogène au fond de son tonneau, maître du monde et du temps? Je ne crois pas. C'est lâche, mais c'est comme çà.
Bon, pas gagné d'avance, mais supposons! Maintenant arrive le plus dur. Il faut en effet occuper son temps libre
En effet, quoi faire de mon temps libre? Quelle question presque scandaleuse! Ah, si j'avais le temps, tiens, retenez-moi, eh bien je partirai vers..., je ferais le tour de..., je me mettrai à ..., j'irai à ..., je recommencerais le ..., je.
En fait, j'ai très peur de ne pas savoir quoi faire. je n'ai jamais appris à ne rien faire. D'abord, je n'aime pas la pêche, le bricolage, le jardinage, les jeux de cartes, la télé, les écrans en général.   Je n'ai aucun don musical ou artistique. Les vacances, comme leur nom l'indique, sont faites pour s'arrêter, et je n'aime pas être une valise. Aller au spectacle me stresse puis m'endort, lire me rend passif et le sport n'est pas une fin en soi. La méditation me donne des cauchemars. En gros, j'ai très peur de très vite m'ennuyer. Terriblement.
Comme Charlot qui veut rester dans sa prison bien douillette des Temps Modernes, il faut se rendre à l'évidence: être un esclave, c'est bien pratique.