lundi 9 juillet 2012

Digicode, tu me reconnais?

"Si tu ne le trouves pas dans le carnet à l'entrée, il doit être quelque part dans le petit carnet violet sur ma table de nuit, et dépêche-toi, les gens derrière commencent à s'impatienter."
Je n'avais aucune inquiétude sur la capacité de mon épouse à tenir tête à la meute acheteuse de n'importe quel magasin, fût-il grand et parisien.
J'avais par contre de sérieux doutes sur mes capacités en recherche de mot de passe. Seul dans l'appartement, le portable collé à l'oreille, je m'activais avec frénésie. Cinquante pour cent de remise sur des draps de je ne sais plus quelle marque (fabrication française), cela valait la peine.
"Attends, il doit y avoir un 8 dedans!"
Grâce à cette précieuse indication, je trouvais comme
par miracle un numéro de quatre chiffres griffonné au crayon à la dernière page, numéro qui permit d'amadouer le cerbère électronique à l'autre bout du fil. Ouf, un épisode qui se termine bien.

Je n'en peux plus de tous ces chiffres.
Avant-hier, j'ai dû retourner au garage où j'avais laissé mon véhicule en révision, je ne me rappelais pas du code de démarrage. En fait, mes doigts savaient exactement quoi taper, mais allez l'expliquer au téléphone!
Hier, c'est encore mon téléphone portable, bureau-fil-à-la-patte ambulant aimablement distribué par ma société, qui a décidé que je devais changer de mot de passe. Pas après-demain, pas demain, non, tout de suite.
Et si vous l'éteignez, vous devez utiliser le code PIN et le mot de passe. Quand vous vous trompez, un décompte vous stresse, encore 2 possibilités, encore une... aïe aïe aïe...Avec les touches qui deviennent de plus en plus petites, mes mains toujours pleines de gros doigts patauds me handicapent lourdement dans mon rapport au monde moderne.

Au début, il n'y avait rien, pas un code, pas un mot de passe.  Puis est arrivée la carte bancaire à puce.  Et soudain, j'ai eu un code à 4 chiffres à retenir. Au fur et à mesure des nouveautés encodables, dont l'immense explosion d'Internet, j'ai toujours conservé ces mêmes 4 chiffres, quitte à les doubler, les recommencer quand il en fallait plus. J'ai le même code pour le casier à la piscine et les petits cadenas inutiles des valises d'avion. Si Alzheimer me taraude un jour, j'oublierai mon nom avant ces 4 chiffres.
Mais l'imagination des responsables de la sécurité informatique n'a d'égal que leur profond sadisme. Finis les 4 chiffres faciles, il faut maintenant que les codes comportent des majuscules, des minuscules et des "caractères spéciaux". Ils donnent même un moyen mnémotechnique, il faut prendre les premiers éléments des mots d'une phrase facile à retenir. Exemple: La France a battu l'Espagne 3 - 0 ! ce qui donne LFabl'E3-0!  Oui, pas facile à croire
,  mais il faut savoir que ce résultat a été obtenu en golf miniature, et encore, le champion espagnol était grippé. Difficile à retenir, quoi. Je vis dans l'angoisse du trou de mémoire.

Heureusement l'espoir renaît. Je ne suis pas le seul à être dans un tel état de nullité codifiée. Maintenant, pour continuer à faire du business avec des clients comme moi, le système demande la plupart du temps: "code oublié?" et hop, il nous envoie dans la seconde un code par SMS sur le téléphone portable. Plus besoin de rien retenir. Le bonheur.
Exemple: il est minuit une, la réservation de Faust à l'Opéra est ouverte depuis une minute, je l'attends depuis 10 ans. Je me précipite sur la réservation, mais il faut un code (tiens, je ne m'en souvenais pas). Qu'à cela ne tienne, je clique aussitôt sur "code oublié", et je vais chercher mon fidèle portable qui clignote déjà, recelant le nouveau sésame. Je n'ai plus qu'à l'ouvrir, c'est vraiment simple.  Ah, tiens, lui aussi me demande un mot de passe... Euh...
Bon, eh bien on n'ira pas voir Faust, d'ailleurs c'est trop
triste.

mardi 3 juillet 2012

"Veux-tu être mon ami?" Non merci!


"On n'a pratiquement plus d'amis"
Mon épouse avait mis du temps à s'en rendre compte, mais ce qu'elle venait de me dire était tout-à-fait juste.
Je ne pus qu'acquiescer, et répondis aussitôt par une question, comme les Jésuites me l'avaient appris: "Tu as raison, et d'après toi, à quoi c'est dû?" En fait de mon côté, ce n'était pas un constat, je dirais même que c'était plutôt le résultat d'un long et patient travail personnel. Bien sûr, on n'est jamais à l'abri de rechutes, mais j'étais assez satisfait de la raréfaction de nos relations, de la quasi disparition des corvées "amicales".
Voici bien longtemps, seule la fuite m'avait permis de leur échapper, comme lorsque nous avions déménagé vers la région lyonnaise laissant derrière nous des montagnes de dîners entre amis...
Mais maintenant, peut-être l'âge aidant, il est devenu inutile de fuir. J'assume totalement mon attitude. Depuis plusieurs années, il est exceptionnel de rendre une invitation à dîner. C'est très efficace.
Réponse de mon épouse: "Aussi, tu ne fais aucun effort". Bien répondu. Bien vu.
Quoi, direz-vous, j'étale sans pudeur mon acide misanthropie? Que nenni. Au contraire, j'accorde trop de prix à l'amitié pour la cantonner dans de fades propos convenus de convives attablés. Il faut quand même qu'on vive, dirait Gérard Manset!
Intéressons-nous un instant à ce rituel du repas entre amis. Et d'abord tout ce qu'il ne faut pas aborder: la religion, la politique et le sexe. En fait, on en parle plus facilement avec son voisin de bus, de métro ou de bistrot qu'avec ses amis. Alors de quoi parle-t-on? De cuisine, de cinéma, de sport, de vacances, d'enfants, de boulot. Et hop, on a fait le tour. Ah oui, on fait aussi le tour du propriétaire histoire de piquer quelques idées de déco. Comme de plus on boit de moins en moins, pas d'échappatoire alcoolo-provoquée, pas de douce torpeur dans les vapeurs de digestifs. Régime sec et plats équilibrés. Bref, neuf chances sur dix de "passer un bon moment", ce que je traduirais par "royalement s'emm... ."
Pour oser appeler amitié une relation avec autrui, j'ai noté trois conditions indispensables, c'est peut-être un peu simpliste, mais cela fonctionne:
- d'abord, faire autre chose que dîner, avoir une véritable activité à partager. Sorties, danse, vélo, piscine, voile, vacances, randonnée... alors les repas sont facultatifs.
- ensuite, accepter et apprécier le silence. Etre capable de se trouver ensemble, marchant, lisant, vaquant chacun à une occupation, ou même simplement rêvassant, sans rien dire. Ne pas avoir à séduire, à imposer ou à convaincre. Etre juste content d'être ensemble.
- enfin, le plus difficile car le plus subtil. Etre certain de compter pour elle ou pour lui. Comment en être sûr, si ce n'est par des actes? Partager les bonnes choses, mais aussi les moins bonnes et les carrément mauvaises.. Le dicton a du bon, c'est dans l'adversité que l'on reconnaît ses amis. C'est un bon test, et qui arrive toujours tôt ou tard.
Pas surprenant que le nombre de nos amis fonde alors comme neige au soleil, mais je peux vous assurer que ceux qui restent forment un socle plus dur que le marbre, un repère plus lumineux que le phare d'Ouessant, une source plus revigorante que la Fontaine de Jouvence.