Je n'avais aucune inquiétude sur la capacité de mon épouse à tenir tête à la meute acheteuse de n'importe quel magasin, fût-il grand et parisien.
J'avais par contre de sérieux doutes sur mes capacités en recherche de mot de passe. Seul dans l'appartement, le portable collé à l'oreille, je m'activais avec frénésie. Cinquante pour cent de remise sur des draps de je ne sais plus quelle marque (fabrication française), cela valait la peine.
"Attends, il doit y avoir un 8 dedans!"
Grâce à cette précieuse indication, je trouvais comme par miracle un numéro de quatre chiffres griffonné au crayon à la dernière page, numéro qui permit d'amadouer le cerbère électronique à l'autre bout du fil. Ouf, un épisode qui se termine bien.
Je n'en peux plus de tous ces chiffres.
Avant-hier, j'ai dû retourner au garage où j'avais laissé mon véhicule en révision, je ne me rappelais pas du code de démarrage. En fait, mes doigts savaient exactement quoi taper, mais allez l'expliquer au téléphone!
Hier, c'est encore mon téléphone portable, bureau-fil-à-la-patte ambulant aimablement distribué par ma société, qui a décidé que je devais changer de mot de passe. Pas après-demain, pas demain, non, tout de suite.
Et si vous l'éteignez, vous devez utiliser le code PIN et le mot de passe. Quand vous vous trompez, un décompte vous stresse, encore 2 possibilités, encore une... aïe aïe aïe...Avec les touches qui deviennent de plus en plus petites, mes mains toujours pleines de gros doigts patauds me handicapent lourdement dans mon rapport au monde moderne.
Au début, il n'y avait rien, pas un code, pas un mot de passe. Puis est arrivée la carte bancaire à puce. Et soudain, j'ai eu un code à 4 chiffres à retenir. Au fur et à mesure des nouveautés encodables, dont l'immense explosion d'Internet, j'ai toujours conservé ces mêmes 4 chiffres, quitte à les doubler, les recommencer quand il en fallait plus. J'ai le même code pour le casier à la piscine et les petits cadenas inutiles des valises d'avion. Si Alzheimer me taraude un jour, j'oublierai mon nom avant ces 4 chiffres.
Mais l'imagination des responsables de la sécurité informatique n'a d'égal que leur profond sadisme. Finis les 4 chiffres faciles, il faut maintenant que les codes comportent des majuscules, des minuscules et des "caractères spéciaux". Ils donnent même un moyen mnémotechnique, il faut prendre les premiers éléments des mots d'une phrase facile à retenir. Exemple: La France a battu l'Espagne 3 - 0 ! ce qui donne LFabl'E3-0! Oui, pas facile à croire, mais il faut savoir que ce résultat a été obtenu en golf miniature, et encore, le champion espagnol était grippé. Difficile à retenir, quoi. Je vis dans l'angoisse du trou de mémoire.
Exemple: il est minuit une, la réservation de Faust à l'Opéra est ouverte depuis une minute, je l'attends depuis 10 ans. Je me précipite sur la réservation, mais il faut un code (tiens, je ne m'en souvenais pas). Qu'à cela ne tienne, je clique aussitôt sur "code oublié", et je vais chercher mon fidèle portable qui clignote déjà, recelant le nouveau sésame. Je n'ai plus qu'à l'ouvrir, c'est vraiment simple. Ah, tiens, lui aussi me demande un mot de passe... Euh...
Bon, eh bien on n'ira pas voir Faust, d'ailleurs c'est trop triste.