mardi 8 décembre 2015

Trauma

Jamais, je n'ai eu autant envie de voir Noël arriver! (pour être tout à fait exact, jamais depuis cette année lointaine et bénie où j'ai reçu le Graal de mes 10 ans, la panoplie de Joss Randall, chasseur de primes au fusil à canon scié).

Les attentats de janvier m'ont bouleversé, nous l'avons tous été. En janvier, j'avais été Charlie, policier, policière, juif. Et puis, j'avais été moi: les assassins avaient éclaboussé de sang une large partie de mon enfance et de mon adolescence. Cabu mérite une statue rien que pour les rires que nous partagions avec mes frères et mon père, notre joie renouvelée de découvrir le Grand Duduche à chaque arrivée de l'hebdo Pilote. A tel point que j'ai fini par ressembler à cet anti-héros grand dépendeur d'andouilles, éternel interne de lycée en blouse blanche rapiécée et secrètement amoureux de la fille du proviseur (blonde à couettes). Jusqu'à mon fils aujourd'hui qui a la même allure et les mêmes lunettes rondes. Les meurtres à Charlie, c'est une plaie béante qui ne cicatrisera pas.

Mais j'avoue que quelque part au fond de moi, je ne me sentais pas directement visé. Aussi horribles que ces assassinats aient pu être, aussi odieuses qu'aient été leurs motivations, les cibles étaient déterminées, l'ennemi était nommé.

Le 13 novembre a changé brutalement la donne. J'ai eu la chance de ne pas avoir peur pour mon fils, c'est lui qui nous a prévenu de ce qui se passait vers 22h, avec un "je suis vivant" au téléphone. Tellement rare, comme coup de fil, que notre première réaction a été du genre "Eh ben on est bien contents de l'apprendre, on se demandait si tu allais répondre à nos SMS, etc..." Quelques secondes de télévision ont suffi à nous mettre un poing dans la figure et une peur rétrospective au ventre: notre fils habite à 200 mètres de "la Belle Equipe", rue de Charonne, mais ce n'est pas cette terrasse qu'il avait choisie ce soir-là pour profiter d'un des derniers beaux jours parisiens avec ses amis. Notre dernière fille était avec nous, et un coup de fil rapide à l'aînée nous rassura sur la sécurité de la proche famille.

C'est peut-être la première fois que je ressens physiquement le danger, que je me sens personnellement pris pour cible, que j'envisage d'être assassiné dans un attentat aveugle. Ou mon épouse. Ou l'un de mes enfants. Glaçante, cette impression de passer du virtuel au réel, de l'esprit à la chair.

Toute la palette des sentiments, avouables ou non, passe depuis dans ma tête, comme dans celle de beaucoup de monde. Quand je lis "même pas peur!", je ne me reconnais pas. Mais bon, il faut bien vivre avec. Nous avons recommencé à aller dans Paris, et c'est avec un soulagement frileux que nous montrons nos sacs et ouvrons nos manteaux aux appariteurs musclés qui n'ont plus à le demander. On les remercie presque de ce zèle.

Alors, quand tout semble se fissurer, quoi de mieux que de s'appuyer sur nos fondamentaux? Nous avons redécouvert combien le french way of life était un art de bien vivre, nous avons été émus en écoutant la Marseillaise, nous avons acheté un drapeau bleu-blanc-rouge, flottant fièrement à notre fenêtre républicaine. Et par dessus tout, nous allons savourer le meilleur moment de l'année. Nous allons entrer dans l'Avent avec ferveur, comme un acte militant! Envie de tout partager, de se retrouver à boire le thé de Noël ou le vin chaud autour du feu de cheminée, de décorer le sapin "encore plus beau que l'an dernier", de déguster le repas familial au rituel parfaitement huilé, de sourire aux cris et ris des enfants découvrant leurs jouets. Envie de revoir tous ensemble Love Actually, The Pôle Express ou la Vie est Belle avec James Stewart... Envie, envie, envie de Noël! Visions de sapins et de vitrines enguirlandées aux dominantes chaudes, vertes et rouges, odeurs de bougies et d'épicéa, saveurs de cannelle et de fruits déguisés, musiques sacrées et petitpapanoëlles... Nous connaissons tout par coeur, et notre coeur s'en emplit encore. Noël, c'est la lumière qui surgit des ténèbres; toute frêle, elle est l'espoir. Elle nous annonce que le chemin est encore loin vers le printemps, mais que nous sommes en route. Ensemble, nous y arriverons. Resserrons-nous, tenons-nous chaud. Tu vois, on est déjà mieux.

Noël, on ne peut pas être plus en rapport avec l'actualité!

PS: je voue aux gémonies les nombreux verbeux télévisuels et radiophoniques qui disent "oui, c'est horrible,..., mais ...". Ceux-là, cassandres à deux balles, viennent vendre leur livre écrit en huit jours, où tout était prédit, sur l'air de "je l'avais bien dit".


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