samedi 8 octobre 2011

Dangereuse vacuité

C'est une catastrophe, je n'ai rien à faire!
Je le sentais, cette journée "off" était un piège. Un piège qui commençait par une bonne idée: j'ai pris mon mercredi en RTT pour renouer avec un vieil ami de passage à Paris. Restaurant japonais en terrasse puis visite du Musée d'Art Moderne. Après tout, comme tout bon parisien, je ne découvre ma ville que lorsque je reçois des amis. Et c'est le printemps...
Rendez-vous sur place à 11h30 pour un apéro sympa, et tutti quanti.. Je commence bien ma journée à domicile, comme un bon automate programmé. Je m'acquitte rituellement des diverses tâches ménagères à ma portée, tout en saturant mes oreilles avec France-Info dont je connais rapidement par coeur les titres répétés. Pas une seconde à moi, pas une seconde pour moi. Normal. Très vite, le temps m'est compté pour être à l'heure au rendez-vous, je me hâte vers la gare. Renormal. Tout va bien, j'ai un petit appareil dans l'oreille saturé d'I-tubes
En chemin, SMS de l'ami, contretemps intempestif, annulation. Patatras.
C'est que je n'ai pas l'habitude d'avoir du temps devant moi!. J'aime être pressé, stressé, arriver pile à temps être un peu en retard. Vivre dans l'urgence, avoir toujours ma liste à faire, jamais soldée. Et surtout, surtout, ne pas avoir le temps de penser.
Et je me retrouve dans cette rame de métro sans rien avoir à faire....Il va bien falloir sortir pour aller...où? Un restau et un musée tout seul? Tu parles!
Je commence à taper frénétiquement sur mon I-truc, mais personne ne répond. Collègues au boulot, relations au vert, tribu aux abonnés absents! Au secours, je suis tout seul. Danger.
Un blanc. Un blanc dans la tête. Je sors à la Trinité, mes pas me dirigent vers un de ces nombreux jardins publics que la Ville de Paris met à la disposition des passants. J'avise un banc presque propre, et je commence une expérience extraordinaire: débranché, décâblé, déconnecté, je tente sur un coup de folie de ne rien faire. Tant pis, je vais me prêter à ce jeu dangereux.
Peu d'enfants et de mamans à cette heure méridienne. Je suis d'abord absorbé par les sauts et les chants des passereaux fous de soleil. Ils bondissent, piaillent près de moi, mais partent vite quand ils voient mes mains vides. Je laisse alors mon regard errer sur les frondaisons vert tendre. Malgré moi, ma tête perd pied, mon ancre échappe aux fonds rocheux, mon bateau dérive. Mes pensées, un peu surprises d'avoir le champ libre, se mettent alors à vagabonder.
Viennent d'abord mes vieux démons, ceux dont j'ai peur, ceux que j'enfouis volontairement sous une couche permanente d'activités fébriles et futiles.
En liberté maintenant, ils se pressent en nombre et se bousculent. Ils ressurgissent et se rappellent à mon souvenir. Oh, je les connais, ces fêlures, ces renonciations, ces lâchetés molles comme des loukoums, ces rêves perdus ou brisés, brûlant comme l'acide. Je les sens m'envahir, ces angoisses devant la souffrance, la maladie, la vieillesse, l'avenir, toutes ces boules de fiel qui enflent dans ma gorge et éclatent dans ma tête.
Rien de bien anormal, allez, c'est l'heur de tout être humain d'avoir ce lot de pensées. Au premier round, je suis terrassé, anéanti.
Je m'accroche, je me laisse traverser par ces pensées, en essayant surtout de ne pas les retenir, comme le font si bien les Bene Gesserit avec la douleur dans Dune.
J'y arrive, difficilement, mais j'y arrive. Je fais appel à mes plus beaux souvenirs. Le sourire de ma femme et de mes enfants, un départ de régate entre amis en baie de Morlaix, une maison de pêcheurs sur Bréhat, la cathédrale de Reims...
Au bout d'un moment, l'étau se desserre, j'ai l'impression d'avoir apprivoisé les monstres. Je revois à nouveau les arbres, j'entends à nouveau les mésanges.
Et brutalement, je me surprends à ne penser à rien. Oui, à rien! Evidemment, quand je m'en rends compte, le charme est rompu, mais j'y suis arrivé un moment, un merveilleux moment éveillé!
Quelle impression étrange. Ne penser à rien, c'est accepter de penser à tout, de devenir un réceptacle universel, "ici, on accepte toutes les idées", c'est un état de grâce.
Les idées qui passent s'arrêtent volontiers un moment, elles savent qu'elles ne seront pas censurées. C'est alors qu'elles sont les meilleures, qu'elles nous élèvent.
Alors n'hésitez pas, osez tout arrêter, tout arracher, tout araser. Osez le vide, osez le rien. Cultivez-le contemplez-le, laissez le errer à sa guise. Le jardin personnel a besoin de jachère.

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